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« Les 5 Terres », pour la huitième fois

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient « Plus morte que morte », le huitième tome de la série Les 5 Terres, de Lewelyn et Jérôme Lereculey.

« On m’avait bien dit que depuis qu’on a délaissé les friches pour se recentrer sur les docks, elles commençaient à se croire tout permis. J’aurais dû écouter. » Tandis qu’Alissa a été passée à tabac et laissée pour morte par les petites frappes du clan du Coucal (« une poignée de gamines désorganisées et trompe-la-mort »), le Sistre organise la riposte tout en maugréant contre l’audace de leurs adversaires. Ce que craignent désormais Djen, Kital, Mana et les autres, c’est que l’affaire ne s’ébruite et que leur pouvoir ne se voit contesté. Bien que conservant un aspect choral, « Plus morte que morte » est irrigué de bout en bout par cette opposition implacable entre deux camps rivaux et déterminés à l’emporter.

Une autre dimension de ce huitième album transparaît par le truchement de Thori. Ayant besoin d’argent pour financer les traitements médicaux de son fils malade, elle aspire à reprendre les combats, et en vient même à demander une recommandation pour un boulot ingrat qui viendrait s’ajouter à son travail de cuisinière. Elle et son mari font montre d’une belle complicité face à l’épreuve. Le collectif de scénaristes Lewelyn accorde une large place à leur résilience, mais n’oublie pas non plus d’évoquer les idées préconçues auxquelles leur couple a dû faire face. On retrouve cette même appétence pour les reliefs psychologiques (exprimés au détriment de séquences plus spectaculaires) avec Otsue et Teruo. Les deux étudiants en archéologie ont fait les frais d’un vol et se disputent quant à leurs responsabilités respectives. Otsue est dépeinte par son camarade comme quelqu’un en proie au péché d’orgueil, convaincue de pouvoir faire faire n’importe quoi à n’importe qui. « Tu n’as pas lancé cette expédition pour faire avancer nos connaissances ou par passion pour notre discipline, non. Tu l’as fait par orgueil. Tu es tellement en insécurité permanente sur ton intelligence, ce que les gens attendent de toi, ce qu’ils pensent de toi, que tu as été jusqu’à mettre nos vies en danger à cause de ça. »

« Plus morte que morte » met aussi en scène le Commissaire examinateur Shin Taku et sa femme Ostrae, ou la princesse Keona, désireuse de donner plus de substance aux recherches socio-historiques sur les peuples des Cinq Terres – elle comprend que les connaissances sur les uns et les autres demeurent lacunaires et stéréotypées. Cette dernière semble par ailleurs marquée par l’absence de nouvelles d’Eren. Iniki assiste à l’égorgement de Dekira, l’enquête sur la disparition de Makana Othere suit son cours et tous ces arcs, apparaissant en filigrane de la rivalité Sistre/Coucal, cheminent avec grand soin, caractérisés par une vraie science du récit. De son côté, comme toujours, Jérôme Lereculey fait des merveilles au dessin : tant les décors que les expressions faciales ou les séquences de pure action donnent pleinement satisfaction. On trouvera aussi, dans les pages 36 et 37, une savante mise en scène du temps en suspens et de l’introspection. De quoi confirmer tout le bien que l’on pensait de la série Les 5 Terres.

Les 5 Terres : Plus morte que morte, Lewelyn et Jérôme Lereculey
Delcourt, mai 2022, 56 pages

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