Les éditions Glénat publient L’Enfantôme, de Jim Bishop, un récit à hauteur d’adolescents évoquant les thématiques de la pression scolaire, du harcèlement et de la réalisation personnelle.
« Le boutonneux » n’est pas tout à fait le genre d’élève qu’un professeur apprécie avoir en face de lui. Effacé, peu concerné par les cours, il troquerait volontiers les salles de classe pour les rayonnages d’un magasin de jeux vidéo. C’est justement ce qui l’amène dans le bureau du conseiller d’orientation, en même temps qu’une ado punkoïde admiratrice de mangas, Mims. Là-bas, ce qu’on leur annonce fait froid dans le dos : en cas d’échec scolaire en fin d’année, ils devront subir les foudres de leurs parents. Ce n’est pas d’un courroux passager qu’on les menace, mais bien de… mort !
Désormais unis face à l’adversité, les deux personnages s’éveillent l’un à l’autre. Une amitié sincère se noue entre eux, notamment grâce à leur passion commune pour le dessin. Mais malgré leurs efforts, ils ne parviennent pas à remplir leur part du contrat et s’exposent donc à la vengeance, irrémédiable et définitive, de leurs parents. La satire est évidente, et c’est par ce biais que Jim Bishop entend dénoncer un système conformiste qui tend à étouffer les individus et à réprimer leur individualité.
Dans L’Être et le Néant, Sartre écrit : « L’enfer, c’est les autres. » Cette phrase, souvent mal comprise, ne signifie pas que l’autre est intrinsèquement mauvais, mais plutôt que son regard nous fige dans une identité qui peut nous emprisonner. De la même façon, dans L’Enfantôme, le « Boutonneux » vit sous le poids constant d’un regard extérieur qui le définit comme un raté, un « nul ». Les moqueries de ses camarades et les attentes écrasantes de ses parents construisent une image de lui-même qu’il finit par intégrer et subir au plus profond de son être. Ce « soi-aliéné » se traduit, au fil des pages, par une incapacité à se percevoir autrement que par le prisme des autres.
Preuve en est : la cape qu’il porte à l’âge adulte. Elle agit à la fois comme protection contre les jugements et affirmation d’un refus d’être exposé aux normes imposées. Cette cape incarne un paradoxe sartrien : pour fuir le regard, on se cache, mais ce geste même est un aveu de l’importance que ce regard continue de posséder. Le personnage porte ainsi en lui une tension permanente, autour de laquelle Jim Bishop construit son récit. Mais pas seulement.
Car L’Enfantôme fait du conseiller d’orientation, bientôt devenu principal, l’incarnation de la déshumanisation d’un système scolaire fondé sur la performance et la conformité. À travers sa menace radicale de mort envers les élèves en échec, Jim Bishop métaphorise la pression institutionnelle et parentale exercée sur les jeunes pour qu’ils répondent aux standards normatifs. Cette caricature extrême met en lumière la violence symbolique que subissent des adolescents encore en quête d’identité dans un cadre qui privilégie le rendement au détriment de l’épanouissement personnel.
L’Enfantôme apparaît ainsi comme un récit moderne s’inscrivant dans une trilogie thématique consacrée à l’enfance, comprenant déjà Lettres perdues et Mon ami Pierrot. Il évoque, par le biais du fantastique, et parfois de l’horrifique, les difficultés d’intégration, les carcans du système éducatif et la quête de soi. Pas des plus accessibles, malgré la clarté de son propos, il n’en demeure pas moins pertinent et réussi.
L’Enfantôme, Jim Bishop
Glénat, janvier 2025, 224 pages





