En proposant cette libre adaptation d’un roman méconnu de Jack London, Riff Reb’s trouve un univers qui lui convient parfaitement. Une première partie séduisante. A quand la suite ?
Le narrateur et personnage central, Darrell Standing (un nom qui ne doit rien au hasard, car le personnage fera face à tous les événements, imperturbablement), se retrouve en prison en 1906 (huit ans avant le présent de narration), pour le meurtre du professeur Haskell avec qui il travaillait dans les laboratoires de l’université de Berkeley. Standing reconnaît avoir été pris d’une colère rouge (fond très révélateur de la case), comme cela lui arrive parfois. Au moment où il écrit, il s’apprête à être pendu, mais pour de une toute autre raison. On notera que ce premier chapitre (sur les huit que cette première partie comporte), présente quasiment tous les points fondamentaux concernant le personnage.
En exergue, Riff Reb’s propose un poème signé Gérard de Nerval :
« Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre
Qui pour moi seul a des charmes secrets
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis Treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… – et dont je me souviens ! »
L’aspect romantique pourrait trouver sa justification dans le deuxième album. Par contre, cette allusion à des souvenirs ayant traversé les siècles correspond parfaitement à celui-ci.
Les trois premières planches, très oniriques, indiquent que le narrateur vit avec des souvenirs qui ne lui appartiennent pas. Un ensemble particulièrement effrayant pour sa conscience et parfaitement rendu par le dessin et les couleurs.
San Quentin
Suite à son coup de sang l’ayant poussé au meurtre, Standing est incarcéré à la prison de San Quentin. Pour son plus grand malheur, Standing est du genre incapable de tenir sa langue quand il observe quelque chose qui ne fonctionne pas correctement. De plus, son intelligence lui a permis de faire des études, jusqu’à devenir ingénieur. Alors, évidemment, au bagne, voir un atelier de tissage tenu en dépit du bon sens…
La torture
Standing va côtoyer les autres prisonniers et leur obsession de l’évasion. Un plan semble émerger. Histoire d’incarcération assez classique, mais très bien mise en scène par le dessinateur, le scénario apportant des éléments fondamentaux à chaque chapitre. Standing devra composer avec les trahisons, ainsi qu’avec les moyens déployés par l’administration pour parvenir à ses fins : non pas trouver celui qui les mène en bateau, mais celui qui les mènera vers ce qu’elle peut toujours chercher…
La force de l’esprit
Devenu une sorte de bouc-émissaire, voilà Standing soumis à une torture qui pourrait le mener à la folie (en attendant la mort). Complètement immobilisé, on pourrait imaginer la situation sans issue : aussi bien pour Standing que pour le dessinateur. Mais, le personnage se révèle doué d’une force de caractère peu commune, ce dont le dessinateur profite avec une belle inspiration.
Le style Riff Reb’s
Cet album (106 pages) montre qu’avec un scénario issu d’une littérature lui correspondant, Riff Reb’s peut s’épanouir. N’ayant pas lu le roman en question, je ne peux que me réjouir du résultat. Riff Reb’s met ici en valeur son style constitué d’un dessin soigné qui vise la noirceur dans le réalisme (voir les visages : il donne sa pleine mesure en dessinant et mettant en scène la noirceur humaine et les visages masculins de personnages ayant visiblement connu des situations difficiles). Nulle place ici pour la mièvrerie, ce qui n’exclut pas un certain goût pour le romantisme.
La noirceur humaine
Le goût de Riff Reb’s pour la représentation de la noirceur humaine ne l’empêche absolument pas d’illustrer magnifiquement tout ce qui l’intéresse et tourne autour de Standing, un personnage incroyable au potentiel fantastique. Le trait est vif et précis, il s’attache à la transcription du mouvement ainsi qu’aux émotions des personnages. A quelques rares exceptions, toutes les images sont monochromes, dans des teintes sombres correspondant bien aux univers dans lesquels l’action se passe. Impossible de le dire autrement, car l’action se trouve éclatée entre des époques très différentes. C’est pourquoi l’album qui fera la suite promet beaucoup, même si dans celui-ci l’univers carcéral me fait davantage d’effet que le reste. Et quoi qu’il en soit (univers particulièrement sombre), l’album est un plaisir pour l’œil, avec des planches toujours bien organisées, des décors bien travaillés, quelques beaux paysages et surtout une impressionnante galerie de visages.
Le Vagabond des étoiles, Riff Reb’s
Éditions Soleil (collection Noctambule), octobre 2019, 96 pages