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« Le Seul Endroit » : l’autre en moi

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

L’identité est souvent le fruit d’une alchimie délicate entre l’individuel et le collectif, entre le soi et l’autre. Le Seul Endroit, de Séverine Vidal et Marion Cluzel, paru aux éditions Glénat, se penche sur ces questions complexes.

Le Seul Endroit devait initialement constituer un recueil de portraits. Ce n’est qu’après un long cheminement qu’il a pris sa forme définitive, articulée autour de l’histoire de Léold. C’est par l’intermédiaire de ce personnage qu’il donne à voir les nuances de la transidentité. Depuis le prélude de son déménagement familial jusqu’à la quête, constante, d’acceptation par l’autre, ce récit sensible et juste présente les complexités de l’identité fluide, qualifiée de transgenre non binaire.

« Mon seul choix, c’est de ne plus faire semblant », dira Léold. « Tu sais, je fais ce que je peux. Je cherche qui je suis. » Né dans un corps féminin qui ne le satisfait que partiellement, dans lequel il se sent comme un puzzle inachevé, Léold suit un traitement hormonal qui n’est pas sans conséquence sur ses proches. Il y a d’abord sa mère, très maladroite, qui peine à le comprendre malgré une réelle bonne volonté. Son père, peut-être plus empathique, s’informe, rejoint des groupes de parole, se montre présent et à l’écoute. Son frère ressent quant à lui de la fierté.

Olivia

Séverine Vidal et Marion Cluzel juxtaposent l’histoire de Léold avec celle d’Olivia, sa jeune voisine, prisonnière d’un couple dysfonctionnel l’unissant à un compagnon souvent absent et occasionnellement violent (d’abord verbalement puis physiquement). Les deux personnages vont peu à peu se rapprocher, jusqu’à l’éveil amoureux, Olivia aidant Léold à être lui-même, à se sentir en sécurité.

Si les obstacles sociaux sont nombreux – en témoignent les larmes de joie de Léold quand on l’appelle pour la première fois « Monsieur » lors d’un passage en radiologie –, Le Seul Endroit témoigne aussi de l’inadéquation de la langue française dans le traitement des identités non binaires. Dans une société où même les objets sont genrés, comment un individu peut-il se sentir pleinement intégré alors que rien n’est susceptible de le nommer adéquatement ?

Le récit des autres

La construction d’une identité passe aussi par le regard des autres. Et la compréhension de nos affects, par leurs récits. Léold rencontre un ancien journaliste sportif ayant choisi de devenir une femme, rejeté par ses filles et son ex-compagne. Pour rendre plus authentique et pleine sa relation avec Olivia, il lui offre à lire son journal intime. C’est la parole qui le libère.

L’écho des expériences individuelles dans cette œuvre transcende les frontières de la transidentité pour toucher à des questions universelles d’humanité. Tous les personnages croisés portent leur lot d’incertitudes, de questionnements, d’attentes vis-à-vis des prescriptions sociales. « Je me suis retenu de rire des semaines : ça déraillait, du rauque à l’aigu », confesse Léold, rarement à son aise dans un entre-deux qui s’inscrit pourtant en écho à son identité profonde. Il dira aussi avoir parfois l’impression de n’être rien – peut-être juste un point d’interrogation tatoué derrière une oreille ?

Le Seul Endroit traite avec sensibilité et intelligence les enjeux de la transidentité et de l’acceptation de soi. Cette bande dessinée crayonnée avec poésie réussit à rendre intelligible et émouvante la complexité de l’identité humaine. Son idée centrale est peut-être que cette dernière se façonne à travers le prisme du langage et des interactions sociales, et qu’elle est, en fin de compte, en perpétuelle construction.

Le Seul Endroit, Séverine Vidal et Marion Cluzel
Glénat, août 2023, 104 pages

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