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« Le Printemps de Sakura » : l’éveil

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Glénat publient Le Printemps de Sakura, de Marie Jaffredo. Cette dernière y met en scène une fillette marquée par la mort accidentelle de sa mère, et contrainte de séjourner chez une grand-mère japonaise qu’elle ne connaît pas. Un récit initiatique à travers lequel elle va s’éveiller aux traditions locales, aux sens et renouer avec l’être aimé disparu.

Encore marquée par le deuil de sa mère, fauchée par une voiture, Sakura, huit ans, doit en sus subir les interrogations identitaires de ses camarades de classe : comment se définir quand, dans un Japon peu ouvert à l’immigration, on est l’héritière de deux cultures différentes, française et nippone ? C’est dans ce contexte peu amène que la fillette apprend qu’elle va séjourner chez sa grand-mère maternelle, qu’elle ne connaît pas, en raison du départ prochain de son père pour une mission professionnelle en Inde. Elle exprime ses réserves, fait valoir qu’elle ne maîtrise pas parfaitement le japonais, mais doit finalement s’y résoudre.

Scénariste et dessinatrice, Marie Jaffredo choisit de se porter à hauteur d’enfant et de nous conter un récit à la fois initiatique et poétique. Dans la maison de cette ancienne enseignante, au cœur du Japon rural, Sakura va s’éveiller à la nature – les animaux, les odeurs, les textures, les bruits – et aux traditions locales – des spécialités culinaires aux kamis (des éléments dotés d’une âme selon certaines croyances) en passant par le butsudan (autel permettant de prier les ancêtres). À mesure qu’elle découvre jardins, plats, cerisiers en fleurs ou senteurs, Sakura va renouer avec une part d’elle-même, celle la liant à sa mère. Une photographie de cette dernière alors qu’elle n’était encore qu’une fillette va d’ailleurs symboliser cette filiation.

Très beau, recourant volontiers aux couleurs ocre ou délavées (mis à part les flashbacks, en noir et blanc), Le Printemps de Sakura recèle une poésie aux formes variées, mais tout entière contenue dans sa page 73, présentant une végétation luxuriante subtilement traversée par des filets de lumière. Son découpage circonstancié par petites vignettes restitue parfaitement l’esprit de découverte, de curiosité et d’émerveillement dans lequel se trouve Sakura. Pour elle, le charme champêtre d’une petite commune portuaire devient un objet de formation, d’apaisement et d’identification. Pourtant, Marie Jaffredo glisse avec pertinence une scène durant laquelle les enfants du village l’envient ouvertement de vivre dans une métropole, témoin d’une envie d’ailleurs quasi universelle (sauf dans le cas de sa grand-mère !).

Pour mieux mettre en lumière les pensées et affects de son personnage, Marie Jaffredo recourt à un procédé assez conventionnel : le journal intime. Ce n’est pas la seule facilité de ce roman graphique, puisque s’y ajoute par exemple la mise en parallèle des divertissements urbains (le cinéma) et ruraux (la nature), avec des enfants admirant le spectacle offert par les arbres comme ils le feraient devant un blockbuster hollywoodien. Mais qu’importe en définitive, puisque Le Printemps de Sakura se montre avant tout exemplaire dans son traitement du deuil et des questions filiales, y instillant ce qu’il faut de sensibilité et de justesse.

Le Printemps de Sakura, Marie Jaffredo
Glénat, août 2022, 112 pages

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