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« Le Jour d’avant » : grise mine

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Steinkis publient une adaptation graphique du roman de Sorj Chalandon Le Jour d’avant. Ce dernier se déroule principalement dans le Nord de la France, dans le contexte difficile des mines de charbon. L’histoire suit le parcours de Michel Flavent, un homme rongé par le désir de vengeance après la mort de son frère, Joseph, dans un accident de mine en 1974. 

Quarante ans après la disparition de son frère Joseph, qu’il impute aux mines, Michel retourne dans sa ville natale pour accomplir une promesse qu’il s’est faite à lui-même : se venger de l’ingénieur responsable de l’accident, Dravelle. Durant la phase d’exposition, conçue sous forme de flashback, Romain Dutter et Simon Géliot dépeignent « Jojo », un jeune homme tournant le dos au monde paysan pour rejoindre l’industrie minière, en dépit des protestations et mises en garde de son père. « Tes poumons seront bons à jeter, et tu seras à moitié sourd, à moitié mort. » Les accidents sont, il est vrai, nombreux sous le sol. Entre le coup de grisou et le coup de poussière, les risques ne doivent pas être minimisés. D’ailleurs, quand un drame se produit, c’est : « Deux écharpes tricolores, un sous-ministre arrivé de Paris, un discours honteux sur le mauvaise sort, trois fleurs payées par le syndicat… » Rien de très engageant. 

Quand Michel retrouve la piste de Dravelle, c’est un homme diminué, handicapé, rongé par le remord, hanté par la perte de ses hommes, qu’il rencontre. Un dilemme moral se pose alors à lui : doit-il mettre ses plans à exécution ? Le cœur du roman graphique semble alors reposer sur le désir de vengeance, une quête obsessionnelle qui soulève des questions sur la justice, le pardon et la manière dont les traumatismes non résolus peuvent consumer une vie. Car Michel est obsédé par cette idée, elle-même encouragée par la dernière lettre de son père. Du moins, c’est ce que les auteurs laissent entendre, jusqu’à ce que la culpabilité et l’auto-persuasion ne viennent infléchir nos croyances et attentes.

Le Jour d’avant est en effet très dense dans les propos qu’il embrasse. S’il traite de la manière dont les personnages font face à la perte et au souvenir des êtres chers, s’il plonge le lecteur dans l’univers des mines de charbon en dépeignant les conditions de travail difficiles, la solidarité entre les mineurs et les luttes sociales qui en découlent, il n’omet pas non plus d’injecter une certaine ambiguïté morale et comportementale dans le chef de son protagoniste. Décrit comme une carpe à la prison de Béthune – où il y a 300 détenus pour 180 places –, il finit par se confesser devant les tribunaux, ce qui laissera entrevoir ses véritables motivations et la double symbolique qui guide son geste envers Dravelle.

Sorj Chalandon et les auteurs de cette adaptation explorent avec finesse les complexités de l’âme humaine, particulièrement en ce qui concerne la douleur, la perte, la culpabilité et la quête de sens. Le Jour d’avant tient en équilibre sur deux échasses narratives : d’un côté, la critique poignante des conditions de vie et de travail des mineurs de charbon, exploités, éprouvés, et démystifiés jusqu’à la fameuse salle des pendus ; de l’autre, l’histoire de Michel et sa quête de vengeance, menées avec un suspense bien dosé, et agrémentées de révélations inattendues. L’ensemble est très convaincant et greffe deux tragédies d’une manière qui fait parfaitement sens.  

Le Jour d’avant, Sorj Chalandon, Romain Dutter et Simon Géliot
Steinkis, mai 2024, 240 pages

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