Les éditions Phileas publient Le Cri, adaptation dessinée d’un roman de Nicolas Beuglet, réalisée par Pierre Makyo et Ng Laval. Programme gouvernemental secret, tragédie familiale et enquête policière s’y entremêlent ingénieusement.
Au départ, Le Cri se déploie telle une représentation de l’horreur institutionnelle. Un homme est retrouvé sans vie dans l’établissement psychiatrique de Gaustad, tristement célèbre pour son usage excessif de la lobotomie. Ce qui apparaît de prime abord comme un banal arrêt cardiaque masque à l’évidence une vérité plus dérangeante. Le patient décédé, qui porte un mystérieux chiffre 488 gravé sur le front, a été déplacé sans explication. Il occupait une cellule que l’on cherche à dérober au regard des enquêteurs. Pis, personne ne semble connaître sa véritable identité, alors qu’il occupait les lieux depuis 36 ans. L’inspectrice en charge de l’affaire se questionne rapidement quant à l’implication éventuelle du directeur de l’établissement, Hans Grund. Manifestement, quelque chose cloche, et elle s’apprête à mener une investigation au long cours.
L’inspectrice Sarah Geringën, ancienne du FSK, identifie dans le sang de la victime une substance tout sauf anodine, le LS34, et apprend d’un détenu voisin la perpétuation d’un cri décrit comme singulier et horrifiant. Tous les éléments sont là pour que le prétendu accident cardiaque prenne une ampleur criminelle et internationale, dont les pièces, éparpillées, vont être soigneusement rassemblées par Pierre Makyo et Ng Laval. En plus d’une narration efficace, l’album se distingue aussi par son traitement graphique, avec des couleurs baveuses, aux nuances subtiles, qui s’émancipent de l’hyperréalisme pour se porter sur une poésie visuelle souvent crépusculaire.
En substance, Le Cri s’appuie beaucoup sur son enquête policière et sur les ramifications qui en découlent. Elles ont d’abord trait aux expériences menées par les services secrets américains sur des cobayes humains, visant à aboutir à des formes de manipulation psychologique par la peur. Ce versant narratif ne vient pas de nulle part, puisqu’il s’inscrit en plein dans le projet MK-Ultra. Elles se portent aussi sur les secrets familiaux, avec des notions de duplicité poussées à leur paroxysme. Enfin, durant son enquête, Sarah Geringën suit une piste la menant à Adam Clarence, directeur financier d’un laboratoire pharmaceutique français, disparu depuis peu mais dont elle va rencontrer le frère, qui lui sera d’une grande aide pendant ses investigations.
Les implications du psychotrope hallucinogène LS34, produit par la firme pharmaceutique Gentix, les programmes clandestins américains et les liens de plus en plus clairs avec le patient norvégien « 488 » ajoutent des couches supplémentaires de complexité à un récit très bien tenu. De plus, tout au long de l’histoire, une série de personnages interconnectés – dont un patient désireux d’exercer sa vengeance sur ses bourreaux – vont intervenir, jusqu’aux révélations finales, dont une île reculée constitue l’épicentre.
Le Cri n’est autre qu’un thriller dessiné, très convaincant sur les plans visuels et scénaristiques, auquel il ne manque finalement qu’un peu de folie, ou un supplément d’imagination, pour pleinement enthousiasmer le lecteur. Ce qu’il dévoile des hommes est en tout cas glaçant : dans ce récit, ils ne reculent ni devant les armes cognitives ni face à une vie constituée de mensonges. Tous les sacrifices sont bons pour une cause supposée supérieure.
Le Cri, Nicolas Beuglet, Pierre Makyo et Ng Laval
Phileas, septembre 2023, 146 pages