Avec Le Cas David Zimmerman, publié aux éditions Sarbacane, Lucas et Arthur Harari s’associent pour proposer un album intrigant et rivé aux questions identitaires. Explorant les frontières entre fantastique, thriller et introspection, ce volumineux roman graphique (360 pages) place son protagoniste dans une situation troublante et potentiellement inextricable.
Trentenaire parisien, photographe, introverti, David Zimmerman voit son existence bouleversée après une soirée du Nouvel An arrosée. Il se réveille le lendemain dans le corps d’une femme qu’il a rencontrée quelques heures plus tôt et avec laquelle il a couché. Ce point de départ fantastique s’ancre dans un traitement hyper-réaliste. On se trouve clairement à mille lieues des ressorts humoristiques ou grivois associés au « body swap ».
Partant, David n’a qu’une chose à faire : mener l’enquête pour tenter de comprendre de quoi il retourne. Il tente péniblement de retrouver son corps d’origine tout en s’adaptant à cette situation inédite, qu’il doit garder secrète. Les Harari en profitent évidemment pour explorer des thématiques universelles, avec un point de vue passionnant : la construction de soi, la perception sociale, les questions de genre… Se retrouver dans le corps d’une tierce personne, d’un autre sexe qui plus est, offre une perspective nouvelle sur l’existence, la société et ouvre un champ de réflexion que Le Cas David Zimmerman exploite en clerc.
L’union des talents de Lucas et Arthur Harari offre une œuvre d’une rare cohérence artistique. Lucas échafaude une vision de Paris onirique et parfois oppressante, qui se marie parfaitement avec l’écriture réaliste et introspective d’Arthur. Le décor parisien, omniprésent dans l’album, agit d’ailleurs comme un personnage à part entière. Les rues, immeubles et cafés de la capitale deviennent le témoins privilégiés des faits et gestes des protagonistes. Les lieux, plus généralement, ne sont pas de simples toiles de fond : ils cristallisent des souvenirs, des émotions et des tensions, amplifiant l’impact narratif de l’histoire. On le ressent par exemple lorsque David rend visite à sa mère dans la peau d’une autre personne.
Au-delà de la seule question du genre, évidente, Le Cas David Zimmerman interroge ce qui constitue l’essence d’un individu. David, contraint de vivre dans un autre corps, réinterprète ses choix, ses souvenirs et sa place dans un monde où il se sentait déjà étranger. Par ailleurs, l’urgence de retrouver son identité physique éclaire en seconde intention des problématiques contemporaines : le rapport au corps ou les assignations sociales, notamment. Comme dans La Métamorphose de Kafka, l’irruption du fantastique pousse de facto le personnage à une quête existentielle.
Le Cas David Zimmerman bénéficie d’un récit captivant, d’une esthétique maîtrisée et d’un propos suffisamment dense pour s’inviter parmi les lectures incontournables de l’année. On en oublierait d’ailleurs presque que l’enquête elle-même est passionnante, puisqu’il s’agit d’identifier le « patient 0 », ou en tout cas de remonter jusqu’à cette personne responsable du « body swap », qui désormais pourrait être n’importe qui, afin de remettre les choses dans le bon ordre.
Le Cas David Zimmerman, Lucas Harari et Arthur Harari
Sarbacane, novembre 2024, 360 pages