Les éditions Lapin publient dans le même temps trois albums qui se distinguent par leur approche audacieuse et leur humour décapant : Tom est un con d’Alexandre Georges, Cogito Ergo Seum de Jipeg et Patate5 de David Berry. Ces œuvres offrent un panorama singulier de l’humour noir et irrévérencieux.
Les trois ouvrages qui nous intéressent partagent une caractéristique fondamentale : un humour irrévérencieux, voisinant souvent avec l’absurde, qui défie volontiers les tabous. Ils manifestent à travers leurs planches, sommaires et/ou itératives, un esprit qui oscille entre le transgressif et le régressif, capable de tirer des situations les plus anodines des Everest comiques.
Tom est un con : subversion linguistique
Dans Tom est un con, Alexandre Georges explore l’humour à travers une falsification délibérée de la langue. Cette dernière se porte sur des noms, des vocables ou des expressions tournés en dérision. Crayonnant sommairement, se moquant lui-même de ses propres blagues, l’auteur n’hésite pas à recourir à des références culturelles aussi diverses que Pascal, le grand frère, Pokémon ou Scream. Il parodie et se moque, avec un esprit vif et acerbe, de tout, allant des noms de célébrités à des sujets régressifs, tels que les flatulences ou la masturbation.
Patates (T05) : David Berry ausculte le monde
Le tome 5 de Patates permet à David Berry d’aborder des sujets controversés avec une audace sans pareille. Il traite sans fard de la pédophilie ecclésiastique, la jeunesse en crise, le deuil familial, l’inceste et même l’Holocauste, avec une liberté et une ironie mordantes. Cette faculté à sortir des sentiers battus, on la retrouve dans la dernière partie de l’album, plus crue et provocatrice. Pour le reste, ces pommes de terre dessinées ou photographiées accompagnent une critique sociale incisive, visant des phénomènes tels que le wokisme, la politique ou encore le sensationnalisme médiatique. Ainsi, on verra l’auteur broder avec talent autour de notre propension à répandre des rumeurs négatives (via les filtres de Socrate), questionner le recul de l’âge de la retraite en imaginant des Ehpad dans les entreprises ou dresser un portrait peu flatteur des influenceuses.
Cogito Ergo Seum : l’absurde selon Jipeg
Jipeg, dans Cogito Ergo Seum, maîtrise sans conteste l’art de transformer le quotidien le plus anodin en situations absurdes. Ses vignettes, partant de scènes ordinaires, basculent dans le grotesque et l’irrationnel avec des variations graphiques mineures. On trouve dans l’album un père implorant son fils de remplir ses couches pour ennuyer son ex-femme, une responsable de stage confondant Powershop et Photoshop, des hommes virilistes troquant Rambo pour le patinage artistique, un rendez-vous romantique qui se termine par… des toilettes bouchées, une femme laissée seule en camping et textant des mensonges à son compagnon pour lui faire craindre l’adultère, un Robin des Bois radin et égoïste ou encore un psychologue qui questionne son patient sur ses goûts en matière de pizzas…
La simplicité graphique au service de l’humour
Bien que les styles graphiques d’Alexandre Georges, David Berry et Jipeg diffèrent, ils partagent une simplicité délibérée, sacrifiant la forme visuelle en faveur d’un fond textuel (et parfois méta-textuel). Cette approche minimaliste, loin de limiter l’impact comique de leurs œuvres, amplifie au contraire l’effet de leurs dialogues ciselés et de leurs tirades percutantes. Le dessin devient un cadre pragmatique qui met en valeur la force du verbe et la vivacité de l’esprit, dans une formule où le bon goût se soumet à l’irrévérence.
Tome est un con, Cogito Ergo Seum et Patate5 forment ainsi un « triptyque » remarquable, qui s’autorise des embardées comiques sur tous les terrains. Ces albums procèdent selon un alliage probant entre la simplicité graphique et une capacité sans limite à transgresser les normes et satiriser une société dont les travers appellent souvent à l’humour.
Tom est un con, Alexandre Georges
Lapin, janvier 2024, 224 pages
Cogito Ergo Seum, Jipeg
Lapin, janvier 2024, 128 pages
Patates (T05), David Berry
Gargouilles/Lapin, janvier 2024, 176 pages