Les éditions Bamboo publient une adaptation graphique de La Fille du puisatier, film de Marcel Pagnol paru au début des années 1940. Éric Stoffel, Emilio Van der Zuiden et Albertine Ralenti déploient leur intrigue au cœur de la Provence, dans un petit village rural où le quotidien est imprégné de traditions séculaires et d’une certaine rudesse de vie.
L’histoire s’articule autour de Patricia Amoretti, la fille d’un puisatier veuf, qui tombe amoureuse de Jacques Mazel, un jeune aviateur issu d’une famille bourgeoise. Le puisatier, inquiet quant au futur de sa fille, prend conscience qu’il risque de perdre celle qui tient le foyer et aimerait la voir dans les bras de Félipe Rambert, un travailleur manuel modeste, dont le style de vie se conforme davantage à leur histoire familiale.
Cependant, les dés sont jetés et l’amour entre Patricia et Jacques dans un contexte bucolique. Cette passion naissante est toutefois rapidement ternie par les réalités sociales et politiques de l’époque. Après quelques rencontres furtives, Patricia se retrouve enceinte, tandis que Jacques est mobilisé, et la réaction des deux familles apparaît aussi contrastée que leurs origines sociales. Les Amoretti, simples mais dignes, font face au rejet et au mépris des Mazel, soucieux de préserver leur honneur bourgeois.
Patricia, considérée par son père comme une « princesse », et qui a d’ailleurs été éduquée à Paris, se retrouve seule avec son enfant à naître. Partant, c’est à travers une série de confrontations et de réconciliations que le roman graphique va explorer le sacrifice, l’amour filial, les sentiments amoureux et la réconciliation dans une société marquée par des codes rigides.
L’intérêt historique de La Fille du puisatier réside évidemment dans sa représentation fidèle de la société française des années 1940, une époque où les classes sociales et les valeurs morales dictaient largement le comportement individuel et collectif. L’œuvre met en lumière les réalités d’une France encore rurale, où le travail manuel, incarné par le puisatier, est à la fois noble et laborieux, et où l’honneur familial prend une importance capitale. Les conflits mondiaux affectent quant à eux même les coins les plus reculés de la Provence…
Les classes sociales sont hermétiques, des dilemmes moraux sont imposés par la société patriarcale, un amour non conventionnel est quasi prohibé… La Fille du puisatier rend compte d’une société conservatrice, notamment représentée par Pascal Amoretti, le père de Patricia, l’image même de l’homme de la terre droit et fier qui oscille entre la sévérité et une profonde tendresse paternelle.
L’amour de Patricia et Jacques, bien réel, est en permanence menacé par l’incompatibilité des mondes auxquels ils appartiennent. Ce fossé social engendre une série de malentendus et de conflits, chaque famille se méfiant et méprisant l’autre, croyant défendre ce qui est juste et bon. La Fille du puisatier met ainsi en lumière l’absurdité et l’injustice des préjugés de classe, tout en soulignant que la réconciliation, bien que difficile, est rendue possible lorsque l’amour, l’humilité et la tolérance prennent le pas sur l’orgueil et la division.
La Fille du puisatier est une œuvre complexe, le témoignage d’une époque révolue. Elle interroge la société française du début du XXe siècle. La Provence et ses habitants, l’amour, le devoir et les barrières de classe, irriguent un récit enraciné dans l’époque qui l’a vu naître. En dévoilant la vie intérieure de ses personnages et en illustrant leurs combats contre les conventions sociales, Marcel Pagnol portait toutefois des enjeux universels, que l’on retrouve parfaitement dans cette adaptation graphique de grande qualité.
La Fille du puisatier, Éric Stoffel, Emilio Van der Zuiden et Albertine Ralenti
Bamboo, août 2024, 80 pages