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« Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne » : féministe, avant-gardiste, obstinée

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient dans leur collection « Encrages » un récit biographique dessiné consacré à Gisèle Halimi. Danièle Masse et Sylvain Dorange se penchent sur son enfance en Tunisie, dans un pays en proie à de nombreux troubles et où le poids des traditions ne cessait de l’enserrer.

La Tunisie des années 1930 est un pays en pleine évolution, traversé par des tensions politiques et sociétales complexes. Sous domination coloniale française, cette nation d’Afrique septentrionale se voit alors divisée entre les influences françaises et tunisiennes traditionnelles. L’époque n’est pas favorable aux femmes, qui demeurent soumises à de fortes inégalités : leur traitement diffère de celui des hommes et leurs opportunités professionnelles apparaissent en comparaison bien plus chiches. Les aspirations féministes sont encore largement ignorées et/ou réprimées. Parallèlement, les mouvements politiques anti-colonialistes se trouvent étouffés par la répression française. Si une volonté croissante de liberté et d’émancipation se fait jour, elle demeure enserrée dans un système rigide et vertical.

Ce contexte sous-tend tout Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne, qui narre, comme son titre l’indique, l’enfance de la célèbre avocate franco-tunisienne dans une société très traditionaliste. Née en 1927 dans une famille conservatrice d’origine juive, elle a grandi dans un environnement où les rôles étaient strictement définis pour les femmes et les hommes. Danièle Masse et Sylvain Dorange démontrent clairement la manière dont elle a été confrontée à une préférence nette pour son grand frère, sacralisé au sein de la famille. En tant que fille, elle se voyait quant à elle reléguée au rôle traditionnel de la femme, à qui revenaient les tâches ménagères, une condition dégradée de soumission aux hommes et un mariage arrangé pour seule perspective. Sa mère n’a ainsi jamais compris pourquoi elle se donnait tant de mal pour les études, qui ne lui serviraient à rien…

Mais c’était sans compter sur l’obstination de la jeune Gisèle. Studieuse, elle s’emploie à réussir à l’école et fait montre d’un goût prononcé pour la lecture et l’écriture. Très tôt, elle déclare vouloir devenir avocate, une carrière considérée comme inappropriée pour une femme tunisienne à cette époque. Et malgré les obstacles culturels, elle va persévérer jusqu’à obtenir son diplôme et défendre avec ardeur les droits des femmes et les causes progressistes. L’album ne cesse de rappeler au lecteur à quel point l’environnement traditionaliste pouvait être inhospitalier pour une adolescente ambitionnant de s’élever de la sorte et de s’affranchir des déterminismes sociétaux. Ainsi, si elle a su peu à peu gagner l’estime et l’admiration de son père, Gisèle Halimi s’est longtemps heurtée à la fermeté de sa mère et aux diktats conservateurs – elle a par exemple dû faire une grève de la faim pour se libérer des tâches ménagères au profit de ses études !

Au-delà de la célébration de son frère en dépit d’un manque criant de diligence scolaire, un autre fait a probablement donné naissance à la fibre féministe de Gisèle Halimi. Ses parents se sont montrés éminemment déçus quand ils ont appris que leur bébé était une fille. Durant les premières semaines de sa vie, son père a refusé d’annoncer publiquement la naissance de sa fille et, pis, la future avocate était perçue comme une malédiction s’abattant sur la famille Halimi… Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne peut à cet égard s’appréhender comme une ode à la persévérance. Malgré les obstacles et le peu de soutien reçu, cette jeune juive entêtée est parvenue à tirer son épingle du jeu. Gisèle Halimi a toujours été déterminée à ne pas se laisser enfermer dans les stéréotypes sociaux et à poursuivre ses aspirations. Ces dernières l’ont menée à des combats hautement médiatisés, comme en témoigne le dossier pédagogique clôturant ce bel album.

Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne, Danièle Masse et Sylvain Dorange
Delcourt, février 2023, 136 pages

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