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« Edmund Kemper » : radiographie d’un tueur

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Serial Killers » (Glénat) s’enrichit d’un nouveau titre consacré à Edmund Kemper, le tueur en série schizophrène et paranoïaque récemment mis en lumière par la série Mindhunter.

« Je ne suis qu’un humain, après tout. » Il y a quelque chose de profondément troublant, presque obscène, dans cette déclaration d’Edmund Kemper insérée à la fin de L’Ogre de Santa Cruz. Par le caractère effroyable et insensible de ses meurtres, ce colosse diagnostiqué à 15 ans comme schizophrène paranoïde semble davantage doué d’abjection que d’humanité. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : les crimes qu’il a commis à l’âge adulte ont résulté de ses traumatismes d’enfance. En cela, Edmund Kemper n’est guère différent des milliards d’individus qui peuplent notre terre. De la même manière que les enfants victimes d’incestes ont souvent du mal à vivre des relations intimes épanouies en tant qu’adultes (Aubry & Apers, 2009), la maltraitance parentale peut être l’incubateur de comportements déviants, ou criminels.

Dans L’Ogre de Santa Cruz, Jean-David Morvan accorde une large place à l’enfance malheureuse d’Edmund Kemper. Vulnérable comme le sont tous les enfants, il se voit qualifié d’« abruti » ou d’« incapable » par ses proches – de sa mère à sa grand-mère en passant par ses sœurs. « Elles me détestent », pense-t-il d’ailleurs. « Ma mère m’avait mis au monde pour m’humilier. Elle voulait bien me faire entrer dans la tête combien les hommes étaient inférieurs. » Mis à l’écart dans une cave obscure et quasi vide, il y dort sur un matelas rudimentaire. Dépourvu de jouets, il s’amuse à mimer des exécutions avec la plus jeune de ses sœurs. « Une éducation dysfonctionnelle », c’est ainsi qu’« Ed » décrit ses jeunes années dans l’album. Et c’est précisément ce rejet familial mâtiné de violence et d’alcoolisme qui va faire naître en lui des fantasmes de meurtres, avant qu’il ne passe à l’acte sur des animaux, puis sur ses grands-parents, et enfin sur des inconnues. Jusqu’à boucler la boucle en assassinant sa propre mère. Meurtres, décapitations, nécrophilie, cannibalisme : Edmund Kemper est une figure luciférienne qui examine ses propres crimes avec une distance proprement glaciale.

L’Ogre de Santa Cruz met en scène l’alter ego de Stéphane Bourgoin, Étienne Jallieu, recueillant le témoignage d’Edmund Kemper un peu comme le font les agents du FBI spécialistes de l’analyse comportementale dans la série Mindhunter. L’album est une exploration biographique et psychologique du tueur en série, mais aussi l’occasion de revenir succinctement sur ses meurtres, tout en les rattachant à un passé douloureux à l’ombre d’une mère castratrice. « Chez nous, les femmes étaient des harpies », argue ainsi « Ed », qui se voit à l’image de Job, « dont la foi est mise à l’épreuve par Satan, avec la permission de Dieu ». Cela pourrait paraître saugrenu, mais il s’agit pourtant d’un trait caractéristique de l’homme : à la fois machiavélique et affable (avec ses visiteurs), froid et empathique (l’enregistrement des audiobooks pour les aveugles), colossal et vulnérable (deux tentatives de suicide), torturé et brillant (un quotient intellectuel de 145), criminel sanguinaire et proche des policiers (qu’il fréquente avec plaisir au bar Jury Room), « Ed » est pétri de paradoxes et à la merci de démons intérieurs.

L’album décrit bien le cercle vicieux des ressentiments dérivant vers les actes criminels. Quand sa première rétention se termine, Edmund Kemper retrouve sa mère et transforme vite chacune de leur dispute en un prétexte pour assassiner des jeunes femmes. Cette triple perspective familiale, psychologique et criminelle se prolonge dans le dossier de Stéphane Bourgoin venant clôturer l’album et apportant de nouveaux éléments factuels sur « Ed » et ses meurtres. Sur le plan formel, L’Ogre de Santa Cruz se caractérise notamment par son minimalisme : les décors sont souvent réduits à leur étiage, et notamment lors des scènes se déroulant en prison. Ces dernières sont noyées d’un jaune dont l’usage pourrait être un témoignage supplémentaire de la dualité du meurtrier. Cette couleur est en effet le symbole de l’intelligence, mais aussi de la maladie, de la vanité ou de la trahison.

Edmund Kemper, l’ogre de Santa Cruz, Jean-David Morvan, Damien Geffroy, Facundo Percio
Glénat, janvier 2021, 144 pages

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