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« Blacking Out » : les deux faces d’une même pièce

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient le one-shot Blacking Out, de Chip Mosher et Peter Krause. On y suit les pérégrinations d’un ex-flic chargé d’enquêter sur un meurtre pour le compte d’un avocat peu scrupuleux.

Juste avant de remettre les pieds à Edendale, Conrad, ancien policier alcoolique, rassure son client au téléphone : non seulement il a un besoin impérieux de saisir l’opportunité et l’argent qui lui sont offerts, mais il possède en outre un calepin noirci de ses réflexions. Aussitôt le cornet raccroché, une vignette nous en dévoile les dessous. Sous la mention « Pistes Littleton » apparaissent ces deux mots : « Que dalle ! » Il n’en faut pas plus à Chip Mosher et Peter Krause pour caractériser leur antihéros, un perdant opportuniste qui cherche une forme de salut dans une affaire sordide. Tandis que la Californie est en proie aux flammes, Conrad ne tarde pas à renouer avec ses vieux démons. On le retrouve titubant à la sortie du Broken Spoke (nom programmatique), repêché par une femme qui lui annonce le lendemain matin : « T’étais sacrément à l’ouest. T’as juste comaté. En fait, tu t’es… pissé dessus… »

C’est cet homme, chassé de la police pour avoir bu pendant son service, qui est chargé de trouver des éléments nouveaux permettant de disculper le père d’une adolescente retrouvée morte. « Il était temps que je ressorte mes burnes du placard », se dit-il. Et pour cause : il cherche à racheter sa conduite d’antan et espère, par la même occasion, montrer à la belle Anita son visage le plus flatteur. Partant, Chip Mosher et Peter Krause, respectivement scénariste et dessinateur, vont suivre le fil de son enquête, à travers laquelle le lecteur va croiser des personnages peu recommandables, dans un contexte judiciaire et médiatique sulfureux. Sans surprise, le récit comporte ses fausses pistes, quelques fantômes surgis du passé et s’appuie significativement sur l’ambivalence de son principal protagoniste, jamais à l’abri de se voir rattrapé par ses actes passés. En filigrane transparaissent l’incompétence et la corruption policières ; l’enquête ayant abouti à l’arrestation de Robert Littleton a été faite exclusivement à charge et de manière si expéditive que des alibis absurdes ont été pris pour argent comptant.

Dans sa seconde moitié, Blacking Out comporte deux surprises de taille, que nous devons toutefois taire pour ne rien divulgâcher. Ces dernières sont de nature à contrarier la réhabilitation escomptée de Conrad. Très noir et cinégénique, l’album se clôture par deux gestes hautement symboliques : un crucifix accroché à un rétroviseur et une confession détruite à la hâte. En cela, Chip Mosher et Peter Krause semblent participer d’un double mouvement : la redéfinition perpétuelle d’un antihéros dual et la dénonciation d’institutions – des journalistes harcelants aux policiers dévoyés – incapables de mener leurs missions avec sérieux et rectitude. Finalement, c’est peut-être par ses élans pessimistes que Blacking Out se définit le mieux.

Blacking Out, Chip Mosher et Peter Krause
Delcourt, juin 2022, 64 pages

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