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« Un peuple et son football » : chronique d’une passion française

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions du Détour publient Un peuple et son football, de François Da Rocha Carneiro. L’historien y fait état de l’histoire sociale du football en France, en déconstruisant au passage certains clichés tenaces et en analysant les liens étroits entre ce sport et la société française. 

François Da Rocha Carneiro tourne autour du football comme un papillon autour d’un lampadaire. Il embrasse cependant ce sport par ses aspérités sociales, politiques et médiatiques, ce qui le conduit par exemple à problématiser l’élitisme qui refuse d’accorder au football sa place légitime dans le paysage culturel français. L’auteur dénonce ainsi le mépris de classe qui voudrait cantonner le football à une simple distraction pour des masses ignorantes. Il illustre ce propos avec l’exemple du boycott de la Coupe du monde au Qatar en 2022, initié par certaines personnalités, dont Vincent Lindon, et souligne le paradoxe de leur silence face au financement de films par Doha. Ce qui vaut pour le football, le cinéma peut apparemment en faire fi. Autre fait édifiant : la directrice des partenariats de Peugeot a affirmé que le football ne correspondait plus aux « valeurs » de la marque, jugées plus « haut de gamme » que ce sport populaire. « Le football, c’est un sport qui ne va pas trop avec nos valeurs en ce moment. […] Parce que ça véhicule des valeurs un peu plus populaires et, nous, on essaye de monter en gamme. » 

Un peuple et son football s’intéresse aussi à la figure du footballeur perçue à travers le prisme réducteur de l’ouvrier, ou associée au mythe du footballeur-artiste. À ce propos, François Da Rocha Carneiro rappelle que derrière le terrain et ses gestes spectaculaires se cache un véritable travail de fond, chronophage et harassant. L’auteur se penche aussi sur les dérives du star-system, citant les exemples de Zidane, Cantona ou Kopa, confrontés aux exigences d’exemplarité et à la critique permanente. La construction médiatique oscille en réalité entre le modèle du sportif exemplaire et celui du jeune homme volage et irresponsable. « La figure du séducteur perdure volontiers jusqu’à nos jours, surtout lorsque le joueur a un physique particulièrement avantageux. Il est vrai que la jeunesse et la musculature sportive peuvent constituer des armes de séduction massive, sans même parler des confortables salaires. L’image du footballeur s’inscrit alors dans l’archétype du jeune homme dont le succès avec les femmes est à la mesure de sa réussite professionnelle. »

Depuis ses débuts à la fin du XIXe siècle, le football français a entretenu une relation complexe avec la classe ouvrière. Initialement perçu comme un loisir bourgeois, il a rapidement été adopté par les milieux populaires, devenant un symbole de leur identité et de leur culture. Des clubs comme le FC Sochaux et le RC Lens, étroitement liés aux industries locales et au paternalisme patronal, illustrent parfaitement cette imbrication du football et du monde ouvrier. François Da Rocha Carneiro ajoute que l’identification des supporters à leur club a contribué à renforcer ce lien, faisant du ballon rond un vecteur d’unité et de fierté collective. La relation n’est cependant pas sans heurts, comme en témoigne amplement l’ouvrage. 

Il est difficile d’appréhender la dimension sociale du football sans évoquer le cas du racisme. Ce dernier s’est manifesté de différentes manières au fil du temps : ciblage des joueurs en raison de leurs origines, de leur couleur de peau ou de leur religion ; tensions racistes ravivées par l’arrivée massive de joueurs issus de l’immigration à partir des années 1980 ; instrumentalisation par des partis politiques d’extrême droite… Jean-Marie Le Pen, alors président du FN, regrettait en 1996 : « Desailly est né au Ghana ; Martins est binational portugais, ayant opté pour la nationalité française pour pouvoir faire partie de cette équipe ; Lamouchi est tunisien né en France ; Loko, congolais né en France ; Zidane, algérien né en France ; Madar, tunisien né en France ; Djorkaeff, arménien né en France. » Comprenez : ces gens ne représentent pas tout à fait la France, et d’ailleurs ne l’apprécient peut-être pas comme ils le devraient, comme en témoignerait selon M. Le Pen le peu d’entrain mis au moment d’entonner la Marseillaise.

Un peuple et son football multiplie les discussions et les analyses : l’évolution de la formation des footballeurs, le rôle de l’alcool (cafés et bistrots demeurent des lieux de rassemblement importants pour les clubs, loi Évin de 1991, etc.), les mutations observées dans les stades, désormais plus grands et multifonctionnels… Le supportérisme marseillais, réputé pour sa ferveur et sa dimension populaire, est mis en balance avec des dérives comme les actes de violence, les insultes racistes ou les pressions excessives exercées sur les joueurs et les dirigeants. L’auteur explore plus généralement comment le football, depuis son introduction en France à la fin du XIXe siècle, agit comme un miroir des évolutions sociales, politiques et culturelles du pays. Il pose une réflexion passionnante sur la société française, ses contradictions et ses transformations, à travers le prisme d’un sport populaire et passionnel.

Un peuple et son football, François Da Rocha Carneiro
Editions du Détour, septembre 2024, 208 pages 

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