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« Spielberg, la totale » : exégèse d’un cinéaste

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions EPA publient un ouvrage passionnant et très complet sur Steven Spielberg. À cette occasion, Olivier Bousquet, Arnaud Devillard et Nicolas Schaller s’associent pour revenir sur la carrière, les moments définitoires et les motifs récurrents du réalisateur de Jurassic Park, La Guerre des mondes ou encore E.T. l’extraterrestre.

Né en 1946 à Cincinnati, Steven Spielberg grandit dans une famille juive orthodoxe dont la désunion va profondément marquer sa filmographie. Il va en effet en tirer certaines de ses obsessions cinématographiques, qui s’exprimeront dans E.T. l’extraterrestre, AI Intelligence artificielle ou encore l’autobiographique The Fabelmans.

Sa passion pour le cinéma naît très tôt, et dès son adolescence, il commence à réaliser ses propres courts-métrages. Rejeté par la prestigieuse école de cinéma de l’Université de Californie du Sud, il intègre l’Université d’État de Californie à Long Beach. Mais c’est son court-métrage, « Amblin’ », qui retient l’attention et lui ouvre les portes de la petite lucarne. Après avoir exercé ses talents à la télévision, notamment dans la série Columbo, dont il réalise le pilote, il met en scène le téléfilm Duel en 1971, un thriller psychologique fourmillant de trouvailles visuelles – dont une vue à travers le hublot d’une machine à laver, sur laquelle les auteurs reviennent plus spécifiquement. Ce projet pose les bases de sa carrière au cinéma, à tel point que Les Dents de la mer, superproduction et premier blockbuster de l’histoire, sera considérée, y compris par le cinéaste lui-même, comme une variation en pleine mer de cette cabale menée dans un tracteur routier Peterbilt 281.

Sorti en 1975, Les Dents de la mer démontre l’aptitude de Steven Spielberg à surmonter les défis d’une grosse production. On a tendance à l’oublier, mais le cinéaste a en effet connu des problèmes récurrents avec le requin mécanique. Autre époque, autres monstres. En 1993, le cinéaste américain, qui a entretemps définitivement tourné le dos au Nouvel Hollywood et imprégné la culture populaire avec les productions Amblin (des Gremlins à Retour vers le futur en passant par Les Goonies), chamboule à nouveau le monde du cinéma avec Jurassic Park. Grâce à sa collaboration avec Industrial Light & Magic et Stan Winston, il fusionne les effets numériques, les maquettes et les animatroniques pour donner vie aux dinosaures. Cette utilisation innovante des nouvelles technologies et des images de synthèse établit de nouvelles normes pour les effets spéciaux. De quoi être ébahi, un peu à la manière des personnages spielbergiens pâmant d’émerveillement devant des contrechamps sophistiqués.

Ce tic de réalisation, indissociable de la geste du cinéaste, fait partie des nombreux sujets annexes traités dans l’ouvrage en marge des films. Il prend ainsi place aux côtés des fidèles de Steven Spielberg, des enfants comédiens, des rapports erratiques avec le Nouvel Hollywood, de l’homme d’affaires derrière le metteur en scène ou encore des relations d’amitié entre le « Roi de l’entertainment » et le maître Stanley Kubrick – les deux hommes se sont rencontrés alors que la fille de Stanley Kubrick portait plainte pour maltraitance d’animaux sur le tournage d’un épisode d’Indiana Jones et ils ont ensuite entretenu une longue et riche correspondance.

Spielberg, la totale prend le lecteur à témoin. Sous le vernis du divertissement, l’œuvre de Spielberg est profondément introspective. L’enfance, thème récurrent, est abordée de manière poignante et plurielle, tant dans E.T. l’extraterrestre que dans Hook ou la revanche du capitaine Crochet ou L’Empire du Soleil. Et si Amistad est décrit comme étant relativement naïf, Lincoln ou La Liste de Schindler (qui a failli échoir à Martin Scorsese et qui résonne avec l’histoire personnelle de Steven Spielberg) placent l’ami de Michael Crichton et père de la franchise cinématographique Jurassic Park par-delà le spectacle pop-corn.

Les motifs du père absent ou distant, de la Seconde guerre mondiale ou des nouvelles technologies tapissent également la filmographie du cinéaste américain. Cette dernière renferme par ailleurs quantité d’anecdotes qui ne manqueront pas de satisfaire les admirateurs de Steven Spielberg comme les simples curieux. De la postproduction de La Liste de Schindler assurée par George Lucas à la démission tardive de Liam Neeson sur Lincoln en passant par les soupçons de plagiat d’E.T. l’extraterrestre ou la polémique sur l’exception culturelle française lors de la sortie de Jurassic Park, l’ouvrage d’Olivier Bousquet, Arnaud Devillard et Nicolas Schaller se montre particulièrement généreux sur les à-côtés des réalisations spielbergiennes. L’aspect analytique, lui, est plus chiche et discret.

Au bout de cette passionnante lecture, il est difficile de nier l’impact de Steven Spielberg sur le cinéma mondial. Alliant innovations techniques et propos plus profonds qu’il n’y paraît, il a su toucher le cœur et l’imagination des spectateurs du monde entier. Tout en conservant une âme d’enfant, dans la conception du spectacle, dans la caractérisation de ses personnages ou dans les thématiques abordées, parfois dictées par de lointains souvenirs, à l’instar du mémorial Lincoln.

Spielberg, la totale, Olivier Bousquet, Arnaud Devillard et Nicolas Schaller
EPA, septembre 2023, 504 pages

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