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« Petites leçons de diplomatie » : de la puissance et de ses circonstances

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Autrement publient Petites leçons de diplomatie, de Frédéric Encel. Le docteur en géopolitique y scrute l’actualité internationale et l’histoire récente pour dévoiler les dessous diplomatiques du pouvoir.

Petites leçons de diplomatie propose une analyse de surface des enjeux géopolitiques actuels et récents. Frédéric Encel met l’accent sur l’importance de la géographie, qui peut être source ou catalyseur de tensions, il souligne le rôle crucial de la diplomatie dans la réduction du nombre de conflits, il s’épanche sur les notions d’alliance, de contournement, d’obstruction, de soft power, de proximité géo-culturelle, tribale ou religieuse.

Parmi les nombreuses « leçons » délivrées dans cet opuscule, l’une met en lumière la nécessité de ne jamais sous-estimer son adversaire et déconseille de se laisser griser par des victoires passées. Il suffit, pour le comprendre, de se remémorer l’attitude des Israéliens en 1973 ou celle, plus proche de nous, des Arméniens face à l’Azerbaïdjan. L’invasion de l’Ukraine par la Russie poutinienne en est une autre démonstration. Non seulement le Kremlin a minimisé la force et la volonté de son adversaire, mais il n’a pas réussi à entraîner d’éventuels alliés dans le conflit et a conduit les Européens à s’unir contre lui.

Frédéric Encel évoque ensuite les retraits tactiques qui permettent des avancées stratégiques, en citant l’exemple de la Russie dans la guerre civile syrienne. Il explique comment le Kremlin a tenté de préserver ses intérêts à Damas sans soutenir ouvertement le régime de Bachar el-Assad, et la manière dont les diplomates russes ont géré l’affaire des gaz neurotoxiques, en proposant un retrait coordonné permettant aux Américains de sauver la face – la fameuse « ligne rouge » – et à son allié alaouite de s’en tirer à bon compte. Il souligne cependant que la reculade de Washington au cours de cet épisode a pu semer le doute sur sa réelle volonté à intervenir. De quoi encourager indirectement d’autres régimes dictatoriaux à perpétrer des crimes massifs ?

Petites leçons de diplomatie identifie trois attributs nécessaires à l’établissement de la puissance : la diplomatie, la force brute et l’ingénierie. Il explique comment la France, bien qu’elle ne soit pas à la pointe dans ces trois domaines, a réussi à maintenir son influence, notamment africaine, grâce à un réseau de diplomates suffisamment vaste et actif. Concernant la Turquie, l’auteur pointe des échecs internationaux flagrants et répétés, tant vis-à-vis des voisins proches (le « zéro conflit ») que dans la volonté de s’ériger en puissance régionale et pan-musulmane. Il s’intéresse ensuite à l’impérialisme, et notamment à celui des anciens pays colonisés (dont la Libye de Mouammar Kadhafi ou la Syrie des Assad), et analyse plus avant la position de la Russie qui, malgré ses ressources énergétiques importantes, son immense territoire, son authentique force armée et les discours martiaux de son président, ne parvient pas à vaincre une armée bien plus modeste située… à ses frontières.

Le Qatar est un autre sujet d’étude pour l’auteur. Ce petit pays utilise des outils de soft power comme la Coupe du Monde de football, l’entregent auprès des Frères musulmans ou la chaîne télévisée Al Jazeera pour renforcer son influence. Le conflit de la guerre civile au Rwanda permet de mettre en exergue l’inaction des gouvernements occidentaux et de souligner que, souvent, rien n’est pire que de laisser une situation se dégrader. Et Frédéric Encel poursuit son tour d’horizon en évoquant les forces d’obstruction ou de délégitimation morale, cette fois en prenant pour exemple la position de la France à l’ONU contre l’invasion de l’Irak.

Dans Petites leçons de diplomatie, Frédéric Encel ne propose pas tant un manuel théorique de géopolitique qu’un chapelet d’événements offrant un cadre d’analyse circonstancié de la géopolitique contemporaine. En explorant les échecs et les réussites de divers acteurs internationaux, il suggère que la compréhension des dynamiques et stratégies géopolitiques demeure essentielle pour avancer ses pions dans un monde de plus en plus complexe.

Petites leçons de diplomatie, Frédéric Encel
Autrement, mai 2023, 224 pages

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