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« Le Stress au travail » dans sa pluralité

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Docteur en sociologie des organisations et ingénieur de recherche, Raphaël Pirc publie aux éditions Apogée un opuscule intitulé Le Stress au travail. Entre injonctions contradictoires, manque de latitude ou de gratifications et pressions multiples, ce phénomène de plus en plus débattu, dans la presse comme dans l’entreprise, nous est dévoilé par le menu.

Pionnier des études sur le sujet, le médecin québecois Hans Selye décrit le stress comme un syndrome général d’adaptation. Dans un article publié dans la revue Nature en 1936, il identifie les trois étapes successives qui le caractérisent : la phase d’alerte, la phase de réaction et la phase d’épuisement. Cet état de tension nerveuse naît donc d’un déséquilibre, d’un élément perturbateur, que Raphaël Pirc va qualifier dans son ouvrage de stresseur. Comme le rappelle l’auteur, le taylorisme, le fordisme et le toyotisme, la production spécialisée, juste-à-temps et en flux tendu qu’ils sous-tendent, mais aussi la mondialisation et la mise en concurrence des entreprises et de leurs travailleurs, vont aboutir progressivement à une prolétarisation du travail et à l’émergence de facteurs favorisant les situations génératrices de stress.

La recherche a abouti à différents modèles conceptuels ayant trait au stress. Quand Robert Karasek se base sur les degrés d’exigence et de latitude applicables aux travailleurs, Johannes Siegrist met en avant un déséquilibre entre l’effort attendu et la récompense allouée, tandis que Leonard Pearlin va plutôt se pencher sur les processus sociaux sous-jacents. En plus de revenir sur chacune de ces théories, Raphaël Pirc énonce en quoi la maîtrise des zones d’incertitude permet de mieux négocier le travail face aux écueils des prescriptions. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la théorie entourant les tâches à réaliser contient des angles morts dont le travailler doit s’emparer, en faisant valoir son intelligence pratique, afin de se mouvoir au mieux dans les interstices entre travail prescrit et prestations réelles. Le stress, l’insatisfaction, voire la souffrance résultent pour partie de l’impossibilité, pour les travailleurs, de procéder à ces accommodements. Un espace d’action permettant de faire face aux aléas et aux imprévus, des axes de négociation et de communication, l’élaboration d’astuces et de jeux stratégiques vont conférer du sens aux actions des travailleurs et contribuer à l’édification de leur identité professionnelle. Le sociologue Robert Merton note d’ailleurs, sans surprise, que des règles trop rigides empêchent toute adaptation rapide à des circonstances particulières.

Raphaël Pirc va ensuite abondamment illustrer son propos à travers l’exemple des chauffeurs routiers. Leur stress peut être imputable à l’imprudence des autres usagers de la route, à leur incivilité, à l’intériorisation des règles de conduite, à l’auto-contrôle des émotions, aux injonctions contradictoires – respecter le code de la route et les temps de pause, faire face aux embouteillages, mais livrer impérativement selon l’horaire convenu… L’auteur verbalise aussi la manière dont ces chauffeurs personnalisent la cabine pour en faire une extension d’eux-mêmes. Et il complète enfin son opuscule, très intéressant, notamment dans son approche théorique, par l’évocation des risques psychosociaux et des troubles musculo-squelettiques, par la présentation des textes de loi entourant les maladies professionnelles et par les huit réserves du sociologue américain Erving Goffman (se rapportant aux « territoires du moi » : mon corps, mon espace de travail, mes affaires/outils/fournitures, mon intimité…).

Le Stress au travail, Raphaël Pirc
Apogée, octobre 2022, 130 pages

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