Dans un ouvrage aussi documenté que passionnant, Bastian Meiresonne, spécialiste du cinéma asiatique, nous invite à un voyage aux origines du cinéma sud-coréen. Publié par les éditions EPA, Hallyuwood est un imposant volume de 352 pages, richement illustré, qui trace un panorama chronologique menant des balbutiements à la consécration de l’industrie filmique sud-coréenne. Aujourd’hui marquée par l’éclosion de réalisateurs de stature mondiale et le succès international de blockbusters, cette dernière n’a probablement pas fini de nous surprendre.
Après une introduction balisant utilement le terrain, le livre débute par une plongée dans les premières années du cinéma coréen, décrivant comment, au début du XXe siècle, des projections privées de films, notamment japonais, européens et américains, se déroulaient dans des espaces réservés à Séoul – baraquements, hôtels, etc. Bastian Meiresonne souligne l’importance des premières projections en 1903 et l’ouverture au public quelques années plus tard, un moment-clé dans l’établissement du cinéma comme forme de divertissement populaire en Corée. C’est surtout après l’annexion japonaise de 1910 que les salles de spectacle dédiées au théâtre et au cinéma se sont multipliées. En 1916, Séoul compte une quinzaine d’établissements dévolus aux projections de films.
L’auteur examine dans le même temps les influences diverses qui ont façonné le cinéma sud-coréen naissant. L’occupation japonaise, d’abord, s’est caractérisée par un double mouvement d’inspiration et de rejet en vertu duquel les films locaux ont récupéré des éléments venant par exemple du théâtre nippon tout en cherchant à s’en démarquer. La présence massive de films américains après 1945, et l’impact des nouvelles vagues européennes sont eux aussi discutés en détail. Ces influences externes ont conduit à l’émergence de genres uniques comme le mélodrame moderne et les fresques historiques à gros budget. Bastian Meiresonne accorde une place significative à cette période. Il met, au passage, en lumière des films mémorables, comme La Servante de Kim Ki-young.
Mais ne sautons pas les étapes. Après nous avoir initiés au bonimenteur byeonsa (qui accompagne et commente les séances) et verbalisé l’art du kino-drama (des spectacles qui combinent théâtre et projection de séquences filmées), l’auteur aborde l’âge d’or du cinéma coréen entre 1926 et 1937, caractérisé par des films socio-réalistes reflétant la société de l’époque. Les Coréens ne veulent plus se soumettre à des films faisant écho aux tropes japonais et se tournent vers des cinéastes tels que Kim Tae-jin ou Yun Bong-chun. Un peu plus loin, c’est Madame Freedom (1956) qui est épinglé pour avoir donné naissance au mélodrame moderne, un genre prédominant dans la production cinématographique des années 50 et 60.
Cette période est aussi marquée par le développement du star system. Mais ce n’est pas tout. Les difficultés de production dans les grands studios sont examinées par l’auteur. Il montre comment l’industrie cinématographique a évolué malgré des défis majeurs, par exemple le déclin des années 1970 marqué par une législation restrictive et une baisse de la production cinématographique. Il faut dire, et c’est quelque chose qui reviendra plusieurs fois dans l’ouvrage, que l’industrie cinématographique est en quelque sorte indexée aux évolutions politiques, avec des périodes de durcissement, de dictature absolue, de relâchement, de soutien nationaliste ou de concessions aux Américains, le tout accompagné d’une politique de quotas changeante mais qui aura son importance dans l’affirmation récente du cinéma sud-coréen.
Vers la fin du XXe siècle, le cinéma sud-coréen connaît en effet un renouveau. Bastian Meiresonne discute de l’influence de la mondialisation et de la pop culture sur les cinéastes contemporains. Il analyse comment des réalisateurs tels que Park Chan-wook, Kim Ki-duk, Bong Joon-ho et Kim Jee-woon ont mêlé influences internationales et culture coréenne, donnant naissance à des œuvres uniques et mondialement acclamées. Entretemps, le livre aura exploré en profondeur les thèmes récurrents du cinéma sud-coréen, notamment la violence, la revanche ou l’émotion han – une forme de spleen mélancolique. Le terme jeong, décrivant un sentiment d’attachement profond, est également analysé dans son exploitation cinématographique.
Hallyuwood est un indispensable pour qui veut comprendre les ressorts et l’histoire du cinéma sud-coréen. Il offre une exploration détaillée et nuancée de son évolution et de son rôle crucial dans la représentation et la compréhension des dynamiques sociales et culturelles de la Corée du Sud. Car ceux qui découvrent aujourd’hui des chefs-d’œuvre tels que Parasite ou Old Boy ignorent probablement qu’il y a moins de cinquante ans, on tournait encore, en Corée, dans de grands hangars non chauffés, avec des comédiens qui lisaient leur texte sur des prompteurs et qui enchaînaient parfois cinq films sur la même journée…
Hallyuwood, le cinéma coréen, Bastian Meiresonne
EPA, octobre 2023, 352 pages