Les éditions La Découverte publient Eurafrique, de Peo Hansen et Stefan Jonsson. Ils y analysent la place prise par l’Afrique dans l’élan communautaire du vieux continent. Un angle mort de la construction européenne qui méritait certainement un examen scrupuleux.
Richard Coudenhove-Kalergi, Otto Deutsch, Paolo Orsini di Camerota… Nombreuses sont les personnalités conviées dans Eurafrique, avec toujours cette constante en filigrane : démontrer que la réflexion communautaire européenne a souvent eu partie liée avec l’exploitation du continent noir. Les auteurs Peo Hansen et Stefan Jonsson rappellent dans un premier temps à quel point la conscience collective européenne, et surtout allemande, a été marquée par l’occupation de la Rhénanie par des troupes arabes et africaines. Ces soldats importés, venus d’ailleurs, étaient alors amalgamés à des sauvages, des violeurs, des êtres primitifs, lesquels stationnaient pourtant dans la Ruhr, un bassin industriel de première importance en Europe. Les deux essayistes précisent ensuite que les ressources africaines, notamment en matières premières, et la nécessité d’un espace vital au sud, pour concurrencer l’URSS et les États-Unis, mais aussi pour exporter une main-d’œuvre excédentaire, ont longtemps présidé aux convoitises dirigées vers le continent noir. Pour les partisans de l’Eurafrique, les deux espaces devaient évoluer de pair et avaient des intérêts communs à s’unir. Certains arguments étaient plus insidieux, voire franchement fallacieux : d’aucuns présentaient ainsi l’Afrique comme un espace à civiliser, largement dépeuplé, qui aurait tout à gagner de l’expertise des Européens.
Comment rendre l’Afrique accessible aux entreprises allemandes ? Pourquoi l’Eurafrique est-elle devenue une doctrine dans les années 1930 ? Quelle a été le rôle d’un Jules Destrée ou d’un Albert Sarraut, ou d’organisations comme l’OIT ou la SDN ? En quoi l’Exposition coloniale internationale de Paris de 1931 ou le dialogue franco-allemand ont-ils pu servir d’incubateurs à l’exploitation du continent africain ? Peo Hansen et Stefan Jonsson répondent à touces ces questions par le menu et prolongent leur réflexion en mentionnant les accords commerciaux entre le Front populaire et l’Allemagne nazie (appelés à revivifier l’empire colonial français et donner un accès aux ressources du continent africain aux nazis), le comité Labonne et ses réflexions sur les besoins énergétiques et les zones de développement économique en Afrique, les efforts de l’OECE et du Conseil de l’Europe portant principalement sur les aspects économiques de la coopération coloniale… Pendant que le colonialisme est remis en cause en Asie et au Moyen-Orient, faisant l’objet du soulèvement des peuples opprimés, l’Afrique reste une zone coloniale relativement pérenne et s’inscrit toujours plus au cœur des préoccupations européennes.
Au fond, c’est probablement cela qui ressort principalement d’Eurafrique. Qu’ils s’intéressent à Atlantropa, au plan Marshall, au plan de Strasbourg ou à l’OTAN, Peo Hansen et Stefan Jonsson ne manquent jamais d’y associer l’Afrique et d’énoncer comment elle a pu impacter les discussions et négociations alors en cours. La déclaration Schuman du 9 mai 1950 ne laisse d’ailleurs pas place au moindre doute : l’Afrique est décrite comme une tâche essentielle pour l’Europe. Les crises en Algérie et en Égypte ont par ailleurs eu une influence capitale sur la Communauté économique européenne, un peu à manière de l’Indochine sur la Communauté européenne de la Défense. Beaucoup escomptaient que l’Eurafrique permettent aux Européens de tenir tête aux Américains et aux Soviétiques après la crise de Suez. Il en va ainsi d’Adenauer ou de Guy Mollet, qui entendaient revivifier l’Europe grâce à l’intégration. D’autres espéraient créer une Ruhr dans le Sahara, concurrencer le Canada sur les matières premières, mettre la main sur des ressources précieuses en pétrole ou en minerais. Eurafrique en fait amplement la démonstration : les intérêts économiques et stratégiques, ainsi que le besoin de réaffirmer une puissance écornée, voire perdue, ont amplement conditionné les politiques européennes envers l’Afrique. Il était indispensable à la bonne compréhension de l’union européenne d’en faire état.
Eurafrique, Peo Hansen et Stefan Jonsson
La Découverte, mai 2022, 369 pages