De René Clair à Jean Renoir – réalismes des années 1930 est un ouvrage collectif, paru aux Impressions nouvelles, explorant la relation complexe entre le cinéma français et le concept de réalisme au début du parlant. L’analyse se concentre sur les années 1930-1935, une période souvent négligée par l’historiographie et marquée par deux événements majeurs : l’introduction du son et la crise industrielle.
Le concept de réalisme est abordé par les auteurs dans sa dimension hybride, à la fois comme un éveil au monde et comme une reconstruction ludique du réel. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement la réalité, mais plutôt de l’interroger et de la transformer en une configuration signifiante. Ainsi, les films analysés, nombreux, s’attachent à représenter la vie quotidienne dans ses aspects les plus crus, explorant la misère sociale, la sexualité et la violence, tout en s’ouvrant à la poésie et au rêve.
« Lorsque le réalisme est pensé à la fois « comme synonyme de laid [et] de choquant, entendu comme ce qui transgresse les limites de l’acceptable et du représentable », il devient une catégorie esthétique pertinente pour aborder et penser les films les plus emblématiques de la période. » Mais il faut contextualiser plus avant. L’arrivée du son au cinéma ouvre de nouvelles perspectives pour le réalisme. L’utilisation du son direct permet de capter les bruits de la ville, les ambiances sonores des cafés, les chants des cigales dans la campagne provençale, les moteurs des voitures, créant ainsi une immersion accrue dans le réel. Les cinéastes expérimentent avec le son pour renforcer l’impact émotionnel et sensoriel des images. Cet état de fait est longuement abordé dans l’ouvrage.
C’est également le cas de la chanson réaliste, à travers des figures comme Damia et Fréhel, qui joue un rôle crucial dans l’expression d’un certain réalisme social. Les paroles des chansons abordent les thèmes de la misère, de l’amour, de la solitude, reflétant les préoccupations et les difficultés de la vie quotidienne des classes populaires. Le chant s’impose alors comme un élément d’ancrage réaliste, tout en créant des effets de contraste intéressants avec la dureté des images, ouvrant ainsi la voie au réalisme poétique. « Ce type de décalage entre « l’invitation au rêve et le rappel de la réalité » est particulièrement présent dans des films réalistes du début des années 1930 », précisent les auteurs.
Il est à noter que l’arrivée du parlant en France contribue à attirer de nombreux cinéastes et techniciens étrangers, notamment allemands. Leur savoir-faire technique et leur vision esthétique influencent en retour la mise en scène, le montage et l’utilisation du son. Toutefois, cette présence étrangère suscite également des réactions xénophobes et antisémites, alimentant les discours sur la nécessité d’un cinéma national. « L’antisémitisme ordinaire des années 1930 – il faut ici le rappeler avec force – se nourrit d’allusions qui attestent d’une vision racialiste du monde, et en l’occurrence de simples évocations qui suffisent à indiquer ce qui structure l’industrie du cinéma. On en a vu les stéréotypes à l’œuvre dans le petit texte de Duvivier cité plus haut, on en voit les développements chez Morand comme dans le compte rendu par Rebatet de l’Histoire du cinéma de Bardèche et Brasillach. » Il faut comprendre que certains critiques comme Paul Morand et Lucien Rebatet ont associé l’influence des cinéastes étrangers, notamment allemands et juifs, à une supposée « décadence » du cinéma français.
Parmi les films étudiés, on compte Sous les toits de Paris (René Clair, 1930), Toni (Jean Renoir, 1935), Marius (Alexander Korda, 1931) ou encore La Petite Lise (Jean Grémillon, 1930). Les auteurs s’en servent pour énoncer les défis techniques de l’arrivée du sonore, qui limite notamment les mouvements de caméra, ou pour réaffirmer les tenants du réalisme visuel, qui se manifeste par un souci d’authenticité dans les décors, les costumes et les accessoires. Les cinéastes privilégient alors les prises de vues en extérieur et les lieux réels plutôt que les studios. L’attention portée aux détails du quotidien et aux milieux sociaux populaires contribue également à la création d’un univers visuel crédible et touchant.
Le « réalisme magique » est également étudié. Il désigne une approche cinématographique qui mêle réalisme social et éléments fantastiques ou poétiques. Dans La Petite Lise, Grémillon utilise par exemple des procédés sonores et visuels pour créer une atmosphère onirique et envoûtante, tout en restant ancré dans la réalité sociale du Paris des années 1930. Parmi les figures majeures du cinéma réaliste français du début des années 1930, on peut citer Jean Renoir, Jean Grémillon, René Clair et Julien Duvivier, tous en bonne place dans l’ouvrage. Leurs films sont marqués par une attention portée aux détails du quotidien, aux milieux sociaux populaires et à la représentation sans fard de la misère et des difficultés de l’existence.
De René Clair à Jean Renoir est cependant bien plus dense et il nous est impossible de l’effeuiller dans ce texte. Les analyses mettent en lumière l’immense richesse et la complexité sous-estimée du cinéma français des années 1930-1935, une période charnière où le réalisme se conjugue avec la poésie, le rêve et l’engagement social. L’analyse des films et des discours critiques permet de comprendre comment le cinéma français s’approprie le parlant pour explorer de nouvelles formes de narration et d’expression artistique, sans rien taire des tensions et contradictions d’une société en pleine mutation. Passionnant.
De René Clair à Jean Renoir, les réalismes des années 1930, ouvrage collectif
Les Impressions nouvelles, novembre 2024, 304 pages