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« Atlas des premières colonisations » : comment les Européens ont mis le monde en coupes réglées

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Autrement publient une nouvelle édition de leur Atlas des premières colonisations. Le spécialiste de l’histoire de l’esclavage Marcel Dorigny, aidé en cela par les cartes de Fabrice Le Goff, revient sur l’expansion des Européens en dehors de leurs frontières du XVe au XIXe siècle.

C’est la recherche de routes directes vers l’Orient, à partir de la fin du XVe siècle, qui a initié le mouvement des colonisations européennes. Les navigateurs portugais, puis Christophe Colomb pour le compte de la couronne d’Espagne, s’échinent à explorer de nouveaux territoires. Marcel Dorigny raconte les dessous de cette première mondialisation : progression des Portugais le long des côtes africaines, prise de possession des terres découvertes, exploitation minière en Amérique du Sud, traité de Tordesillas visant à partager le Nouveau Monde entre Portugais et Espagnols… Après s’être appuyés sur les récits du voyage de Marco Polo, et cherchant à contourner des intermédiaires ottomans considérés comme instables – voire à les attaquer à revers –, les Européens travaillent à pérenniser un accès direct vers l’Asie. Les conséquences en sont largement connues : la première forme de traite négrière européenne commence avec les comptoirs portugais d’Afrique, l’afflux des métaux américains (du Pérou, du Chili, etc.) à Cadix confère à la couronne de Philippe II une puissance et un rayonnement exceptionnels, les autochtones sont massacrés, réduits en esclavage, expropriés ou victimes d’un choc bactériologique inédit (grippe, rougeole, variole et varicelle déciment des populations entières).

Naturellement, cet Atlas des premières colonisations s’appuie en grande partie sur les cartes de Fabrice Le Goff : celles-ci aident à mieux appréhender l’exploitation minière coloniale, l’évolution de la traite négrière, la guerre d’Indépendance américaine ou la pénétration des Portugais en Afrique. Dès le milieu du XVe siècle, ces derniers sont en quête de deux territoires mythiques : l’empire de Monomotapa au Sud et celui du fameux Prêtre Jean au Nord. Partout, le colonisateur cherche à imposer la religion catholique aux peuples soumis. Et une première redistribution des cartes a lieu au XVIIe siècle, lorsque la France, l’Angleterre et, dans une moindre mesure, la Hollande déploient leurs stratégies (et leurs Compagnies des Indes) afin de prendre pied dans des États tiers. Si, dans un premier temps, plusieurs tentatives contre le monopole hispano-portugais avortent prématurément, à la fin du XVIIe siècle la répartition des souverainetés sur le Nouveau Monde s’éloigne grandement des décisions prises en 1494, à l’occasion du traité de Tordesillas. Les îles à sucre passées entre les mains de la France et de l’Angleterre deviennent dès lors, et ce pour plus d’un siècle et demi, les témoins privilégiés de la richesse coloniale européenne.

La matière traitée par Marcel Dorigny est abondante : l’auteur s’intéresse à la fondation de Québec en 1608, à la Louisiane française, à l’extermination des Nations indiennes en Amérique du Nord (leur population s’effondre de près de 90 % entre la fin du XVIe siècle et celle du siècle suivant), à la croissance démographique des treize colonies britanniques d’Amérique, à la ventilation économique et religieuse qui s’y applique, à la guerre de Sept Ans (décrite comme la véritable première guerre mondiale), à la stabilisation de l’Amérique espagnole au XVIIIe siècle. L’auteur explique que l’entreprise colonisatrice s’accompagne de progrès dans des domaines aussi variés que la construction navale, l’océanographie, l’astronomie, la zoologie ou la cartographie. Et que la seconde moitié du XVIIIe siècle est marquée par la volonté des grandes puissances maritimes d’explorer le dernier grand océan encore inconnu, le Pacifique. James Cook, Jean-François de La Pérouse ou Étienne Marchand s’y emploieront. Après 1750 vient le temps des ruptures coloniales : les nouvelles théories politiques et économiques prônent la liberté individuelle, le régime politique représentatif, le travail libre et concurrentiel… En 1776, les États-Unis gagnent leur indépendance. En 1804, c’est au tour d’Haïti de se rebeller, avant que n’adviennent, un peu plus tard, les indépendances de l’Amérique ibérique.

Comme souvent, les éditions Autrement proposent un atlas instructif et concis, qui permet de prendre le pouls des premières colonisations européennes dans leur dimension économique, démographique, religieuse, militaire ou encore géopolitique. Marcel Dorigny rappelle de quelle manière les populations autochtones ont fait les frais des rivalités européennes et comment le vieux continent a su tirer profit des territoires colonisés pour se développer. De Marco Polo à Christophe Colomb en passant par Toussaint Louverture, Colbert ou Amerigo Vespucci, de nombreuses personnalités émaillent cette histoire douloureuse, mais ô combien passionnante.

Atlas des premières colonisations, Marcel Dorigny
Autrement, juillet 2021, 96 pages

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