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« Atlas de l’Amérique latine » : un continent pluriel

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Autrement publient un passionnant Atlas de l’Amérique latine, coécrit par Olivier Dabène et Frédéric Louault, avec le précieux concours de la cartographe indépendante Aurélie Boissière. Les auteurs y passent en revue un continent marqué par le colonialisme, les révolutions, l’extraction de matières premières et les disparités sociales, culturelles, géographiques et économiques.

Au XVIe siècle, Espagnols et Portugais se partagent un continent découvert par Christophe Colomb en 1492. Dans ces contrées lointaines riches en matières premières, les indigènes et les esclaves, pour la plupart d’origine africaine, seront bientôt chargés des travaux pénibles, dans les exploitations agricoles ou dans les mines. Les Espagnols nés en Amérique latine, appelés « créoles », ont accès à l’éducation et disposent d’un certain pouvoir politique, mais ce dernier demeure toutefois inférieur à celui exercé par les colons venus d’Europe. Cette stratification sociale rigide permet l’exploitation de l’or, de l’argent, du coton, du sucre ou encore du café. Il faudra ensuite attendre le début du XIXe siècle pour que des mouvements indépendantistes émergent, à la suite de la décadence des empires coloniaux, à la faveur des idées promues par la Révolution française, mais aussi en raison de l’endettement significatif des Espagnols et des Portugais, dont les finances apparaissent en rupture avec leurs ambitions extérieures. Des figures importantes telles que Simon Bolivar s’impliquent dans la lutte pour les indépendances nationales (le Venezuela s’émancipera en 1819).

Respectivement professeur à Sciences-Po Paris et professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, Olivier Dabène et Frédéric Louault racontent avant tout l’évolution d’un continent où la domination coloniale s’est exprimée avec une violence destructrice et spoliatrice, et qui apparaît aujourd’hui encore fracturé entre riches et pauvres, archaïsme et modernité, multiculturalisme et racisme. La pluralité de l’espace sud-américain s’objective tôt, dès le processus d’indépendance. Ainsi, les situations divergent fortement entre un Pérou aux inégalités prégnantes et aux peuples en mosaïque et des États comme le Mexique ou le Brésil déjà mus par une conscience nationale forte. Dans certains pays, la croissance profite aux populations locales, tandis que dans d’autres, ce sont les entreprises étrangères, et notamment nord-américaines, qui accumulent et rapatrient les bénéfices, comme le fait l’emblématique United Fruit Company. On peut observer une détérioration des termes de l’échange partout où les produits manufacturés doivent être importés en masse ; et à cela s’ajoute une dépendance multidimensionnelle, puisque les débouchés commerciaux et les produits exportés manquent souvent cruellement de diversité.

Cuivre, argent, bauxite, zinc, plomb, nickel : la liste des minerais exploités en Amérique latine est aussi longue que la Cinquième Avenue de Manhattan. Concernant le pétrole, la concentration est en revanche de mise, puisque le Venezuela possède l’essentiel des ressources continentales (plus de 60 %). Sur le plan socioéconomique, cet Atlas de l’Amérique latine revient sur l’urbanisation du continent et l’apparition adjacente de poches de misère et de violence. Les auteurs soulignent que la croissance démographique et l’absence de service public se font ressentir dans les zones les plus défavorisées, rendant difficile toute politique de planification urbaine, comme en témoignent l’apparition de quartiers-champignons à Santiago (Chili) dans les années 1980 ou le développement de Mexico sur fond d’exode rural. L’accès à la terre reste une source de mécontentements et de violences : la propriété foncière est l’un des grands enjeux continentaux, puisque l’on observe localement une concentration de la majorité des terres entre les mains du centile le plus nanti. Les inégalités irriguent l’ouvrage de bout en bout. Et les auteurs de rappeler qu’elles se situent tant au niveau des pays que de leurs territoires, et même à l’intérieur de leurs villes. Toutefois, selon la Banque mondiale, l’ensemble des programmes mis en place dans les années 2000 aurait permis de réduire la pauvreté de 15 % (on peut citer l’exemple de la bolsa familia au Brésil), avant qu’un ralentissement de la croissance lors de la décennie suivante n’interrompe brutalement l’élan des progrès sociaux.

Continent de révolutions et de guérillas peuplé par des vagues successives d’immigration, continent de crises financières où populisme et autoritarisme s’inscrivent plus qu’en pointillés, l’Amérique latine est un espace complexe, d’élans et de contradictions, d’inégalités et de progrès. Dans leur Atlas de l’Amérique latine, Olivier Dabène et Frédéric Louault verbalisent à la fois ce qui a présidé à ses fondements et ce qui constitue aujourd’hui ses principaux écueils et enjeux. Sur le plan économique, le secteur informel s’est fortement développé dans les années 1980, quand hyperinflation et paupérisation devenaient des réalités bien tangibles. Encore aujourd’hui, au Mexique, il continue de représenter plus de 34 % de l’emploi total. D’autres phénomènes apparaissent plus contrastés. Ainsi, si le Venezuela est entré en 2013 dans une crise sévère qui a détruit jusqu’à 40% de son PIB en quatre ans, la bourse famille créée en 2003 par Lula a bénéficié au Brésil à 14 millions de familles, soit un quart de la population, tandis que le salaire minimum a, dans le même temps, connu un bond de 340%. Le cas du Chili est plus spectaculaire encore : en 1990, presque 39 % de la population y vivait sous le seuil de pauvreté ; en 2013, ils n’étaient plus que 7,8 % ! Preuve d’une dualité rarement démentie, ces dernières années, les investissements chinois se sont multipliés sur tout le continent, au même titre d’ailleurs que les innovations politiques… ou les affaires de corruption.

Atlas de l’Amérique latine, Olivier Dabène, Frédéric Louault et Aurélie Boissière
Autrement, juin 2022, 96 pages

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