Le renforcement idéologique sous Xi Jinping, la montée économique et la diplomatie ambitieuse à travers des initiatives comme l’Organisation de coopération de Shanghai et les Nouvelles Routes de la Soie placent la Chine au carrefour de plusieurs dynamiques contradictoires. À l’échelle nationale, la centralisation du pouvoir se mêle à une économie en mutation et une société vieillissante et de plus en plus urbanisée. Quelles sont les implications de ces changements, parmi tant d’autres, pour Pékin et pour son rôle sur la scène internationale ? Cet Atlas de la Chine, paru aux éditions Autrement, apporte quelques éléments de réponse.
Xi Jinping, à la barre de la deuxième économie mondiale, a réorienté la politique intérieure vers un nationalisme plus marqué et une surveillance accrue des citoyens, caractérisée par le déploiement des technologies numériques et la mise en place d’un crédit social condamnant tout manquement aux lois, aux règles de bienséance, ainsi que toute critique exprimée envers le régime communiste.
Ces politiques, souvent décriées en Occident, renforcent l’héritage du parti communiste chinois (PCC), qui a émergé en 1949 en incarnant un changement radical par rapport aux anciennes dynasties. Et comme l’expliquent très bien Thierry Sanjuan et Carine Henriot, ces révolutions politiques et institutionnelles ne sont pas les seules à avoir redéfini la Chine au cours des XX et XXIe siècles, puisque les bouleversements démographiques (plusieurs booms se sont succédés) et économiques (libéralisation à marche forcée, réforme des marchés du travail et de l’immobilier) ont également produit leurs effets.
Soft power
Indéniablement, la Chine apparaît désormais comme un acteur majeur sur la scène internationale. Elle siège au sein de plusieurs organisations régionales et économiques. Son rôle central au sein de l’ASEAN et parmi les BRICS contribue à en faire le vis-à-vis naturel des États-Unis dans le monde, d’autant plus que leurs deux économies, les plus importantes de la planète, sont plus liées qu’on ne le pense parfois. L’Atlas de la Chine montre cependant que ces succès ne sont pas exempts d’écueils et de contestations, notamment vis-à-vis de Taïwan ou de Hong Kong, mais également en matière de droits de l’homme, notamment dans le cas des Ouïghours et concernant les camps de travail.
Particularités de la société chinoise
Au-delà de ses composantes politiques et socioéconomiques, l’ouvrage de Thierry Sanjuan et Carine Henriot permet de mieux appréhender la société chinoise, complexe, et gouvernée par un mélange de relations sociales codifiées et de valeurs culturelles découlant notamment du confucianisme, du bouddhisme ou du taoïsme (bien que le protestantisme s’y répand rapidement, avec 40 à 60 millions de pratiquants actuellement). Les auteurs reviennent ainsi sur les liens de sang, les relations interpersonnelles et les rapports « blancs ». Ils verbalisent une société au sein de laquelle les réseaux sont fondés sur des principes de dons et de contre-dons, et où il demeure nécessaire d’être introduit auprès d’un tiers avant de pouvoir échanger avec lui.
Les phénomènes démographiques, migratoires et économiques ont également une influence significative sur la Chine : vieillissement de la population, urbanisation accélérée, émergence d’une économie basée sur le marché le disputent à l’essor des loisirs ou à la prépondérance de la vie digitale (960 millions d’utilisateurs de smartphones en 2020) quand il s’agit de sonder le tréfonds de la société chinoise. La question environnementale n’est d’ailleurs pas en reste : à la fois acteur et victime du changement climatique, la Chine montre des signes de conscientisation, notamment avec l’émergence de provinces pilotes bas carbone et une préoccupation réaffirmée par les sondages d’opinion quant à la qualité de l’air ou de l’eau.
Plusieurs points de vue
Les auteurs n’hésitent pas à jeter un œil dans le rétroviseur, notamment pour rappeler comment de vastes zones d’influence ont prolongé, concomitamment aux guerres de l’opium, les empires européens et japonais en Chine. Ils explicitent les enjeux liés aux murs – et même aux maisons, conçues selon une accessibilité filtrante et graduelle. Ils font état, enfin, des migrations de la campagne vers la ville, synonymes de desserrement du contrôle de l’État et d’un abandon de la planification économique, mais aussi d’une exigence grandissante de rentabilité pour les entreprises, et d’enrichissement pour les individus.
La Chine actuelle continue une mue entamée après la Révolution culturelle et surtout post-Deng Xiaoping. Elle demeure un agrégat de contradictions qui reflète les enjeux multiples auxquels elle doit faire face. Alors que le parti communiste chinois tente d’asseoir sa légitimité par une consolidation du pouvoir et une diplomatie très active, il ne peut ignorer les complexités inhérentes à sa propre société et à l’économie mondialisée. Cet atlas permet d’aborder l’Empire du Milieu dans toute sa multidimensionnalité, pour mieux en comprendre les ressorts sociaux et politiques.
Atlas de la Chine, Thierry Sanjuan et Carine Henriot
Autrement, octobre 2023, 96 pages