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« Amityville » : derrière l’horreur, le savoir-faire

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Analyse filmique » des éditions LettMotif, qui a déjà effeuillé des œuvres emblématiques telles que Barton Fink et La Nuit du chasseur, nous offre aujourd’hui une nouvelle démonstration d’érudition cinématographique, avec Amityville, signé par Frédéric Zamochnikoff. Véritable invitation à plonger dans les méandres de l’horreur filmique, l’ouvrage s’apparente à un voyage à étapes au cœur de la maison hantée la plus célèbre du cinéma.

C’est avec une approche minutieuse et un souci du détail quasi chirurgical que Zamochnikoff se penche sur le film Amityville de Stuart Rosenberg, dévoilant sa structure visuelle et narrative par une analyse exhaustive, plan par plan. Au fil des pages, l’auteur décortique l’œuvre à l’aide de quelque 1200 photogrammes, déroulant ainsi un véritable storyboard qui permet de mieux comprendre comment le cinéaste a su échafauder une angoisse à la fois sourde et omniprésente, indexée à la gestion de l’espace et de l’image.

L’étude de Zamochnikoff est éloquente. Chaque mouvement de caméra, chaque valeur de plan, chaque détail du cadre fait sens et est mis au service de l’intrigue, voire de l’horreur. Le lecteur est guidé à travers les couloirs obscurs d’une demeure maléfique ; il voit se mettre à nu les mécanismes de mise en scène permettant à la maison d’enserrer, parfois littéralement, les personnages, et de devenir peu à peu une entité à part entière, un protagoniste malveillant se jouant volontiers des codes du film d’épouvante. C’est d’ailleurs l’un des points centraux mis en lumière par Frédéric Zamochnikoff : dans Amityville, le mal est anesthésié ou activé selon le bon vouloir de Stuart Rosenberg, trompant régulièrement les attentes des spectateurs.

D’une grande rigueur analytique, l’ouvrage se penche tour à tour sur le « regard » de la maison, formé par des fenêtres semblables à des yeux, sur la manière dont les personnages s’inscrivent dans l’espace et l’image, sur ces plans emblématiques, dont ceux, rapprochés, des mouches, érigées en messagères du mal qui habite les lieux, révélatrices de l’oppression exercée sur les hôtes – et le prêtre dans le cas présent. Frédéric Zamochnikoff observe minutieusement comment Stuart Rosenberg orchestre les déplacements de ses protagonistes, la manière dont il accentue leur vulnérabilité, la mise en scène d’un mal qui tapisse les lieux et assaille ceux qui les habitent. Parfois, ces protagonistes, représentés en taille réduite, rejetés à la marge d’un plan, apparaissent diminués, presque écrasés par la masse imposante de la demeure, reflétant ainsi leur impuissance face à la menace environnante.

Amityville permet aussi de prendre langue avec les thématiques de la famille, la culpabilité et la folie, autant de notions savamment exploitées pour augmenter la tension et l’effroi. C’est peut-être là que se situe le vrai pouvoir du cinéma : dans la génération d’émotions rendues aussi vives que crédibles. En ce sens, ce que l’auteur se propose de déconstruire, c’est le malaise et l’angoisse ressentis par le spectateur, en verbalisant les moyens par lesquels Stuart Rosenberg les a conditionnés. Le livre nous fait revivre l’expérience terrifiante des Lutz. Il fait état des subversions des codes et des clichés de genre et dévoile toutes les subtilités permettant de maintenir le public en alerte : les points de vue adoptés, les cadres additionnels investissant le cadre et se surajoutant à lui, le champ/contrechamp, les constructions symétriques, les changements de perspective…

L’analyse est fine, l’approche méticuleuse, et le piège de la surinterprétation déjoué par l’évidence de la démonstration. L’entreprise de Frédéric Zamochnikoff donne lieu à une réhabilitation, ou à tout le moins à une redécouverte, d’un long métrage quelque peu oublié.

Amityville, Frédéric Zamochnikoff
LettMotif, mai 2023, 356 pages

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