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« La Nuit du chasseur : une esthétique cinématographique » : exégèse d’un chef-d’œuvre

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Après Barton Fink et A.I. Intelligence artificielle, l’essayiste Damien Ziegler se penche cette fois, dans la collection « Analyse filmique » (LettMotif), sur le conte crépusculaire et unique film de Charles Laughton, La Nuit du chasseur.

Damien Ziegler progresse scène par scène dans son analyse de La Nuit du chasseur. Il résume l’action, y joint ses observations et illustre le tout à l’aide de nombreux photogrammes (200 en tout). Ce mode opératoire s’enrichit de trois « Regards comparés » au cours desquels l’auteur met en parallèle le travail de Charles Laughton et celui d’autres cinéastes, réunis autour de motifs communs. Ce réexamen littéraire de l’un des films les plus estimés de l’histoire du cinéma repose sur une intuition dont le bien-fondé ne cesse de se vérifier : La Nuit du chasseur est avant tout le fait d’un trio – Charles Laughton, Stanley Cortez et Walter Schumann – dont chaque apport, soupesé, fait sens.

Doté d’un format 1.66 plus commun à la Nouvelle vague qu’aux films hollywoodiens, sculpté par un noir et blanc aux profondeurs renforcées par une pellicule Tri-X, La Nuit du chasseur repose sur un roman de Davis Grubb que Charles Laughton adapte et érige en fable sur l’innocence (les enfants orphelins) confrontée au mal (le pasteur Powell). Comme Damien Ziegler l’énonce plusieurs fois au cours de son analyse, la lumière occupe une place centrale dans le film : elle possède des fonctions unificatrices et annonciatrices. C’est elle qui confère au film une tonalité aux embouchures du film noir, du conte crépusculaire et de l’objet onirique. Mais le long métrage se distingue aussi par ses dilatations temporelles et ses contrepoints musicaux (qui, parfois, sursignifient l’action).

D’un « prologue étoilé » révélant déjà le manichéisme du film à la caractérisation du pasteur Powell – voix de baryton, mains aux inscriptions antinomiques, grimaces traduisant sa nature profonde, etc. –, l’analyse de Damien Ziegler se signale par son exhaustivité et sa pertinence. L’essayiste, désormais coutumier des monographies consacrées à un film en particulier, ne cesse de gratter le vernis pour saisir l’essence de la mise en scène, la photographie et la bande-son de La Nuit du chasseur. Il évoque abondamment le travail sur la profondeur de champ, les jeux d’ombres, les plans avec effet d’iris ou encore l’« onirisme pur » de la séquence de la rivière. L’auteur ne manque d’ailleurs pas de préciser, au sujet de cette dernière, que la place prépondérante qui y est accordée à la faune et la flore a dérangé certaines parties prenantes, qui l’ont perçue non comme fondamentale, mais comme la source de digressions superflues.

La tentation est grande de revoir La Nuit du chasseur en parallèle à la lecture de l’essai de Damien Ziegler. Les plans situationnels et le manque de fluidité de certaines séquences d’exposition, les considérations esthétiques relatives à la représentation de la nature, les emprunts/hommages à D.W. Griffith, les commentaires sur le jeu de Robert Mitchum ou Billy Chapin, la multiplicité des points de vue ou le travail sonore lors de la découverte sous-marine du cadavre de Willa, la formation du suspense au moment de la fuite des enfants ou les vues subjectives et panoramiques de John vers sa nouvelle bienfaitrice (immédiatement caractérisée comme telle) n’en paraissent que plus édifiants. Quoi qu’il en soit, force est de constater que l’étude de Damien Ziegler est patiente, passionnante et solidement étayée. La Nuit du chasseur méritait bien cette exégèse érudite.

La Nuit du chasseur : une esthétique cinématographique, Damien Ziegler
LettMotif, juin 2021, 280 pages

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