Une affiche n’est jamais neutre : elle contient une promesse, elle doit séduire, elle fabrique des icônes. Le superbe ouvrage Affiches de cinéma (Citadelles & Mazenod) en donne la preuve éclatante en grand format et à travers 220 images qui couvrent plus d’un siècle d’histoire, des premiers films muets aux blockbusters du XXᵉ siècle. Loin de n’être que simples outils de promotion, ces affiches dialoguent avec leur époque : elles traduisent les mutations du cinéma, ses révolutions techniques et esthétiques, mais aussi les bouleversements politiques et sociaux qui traversent le siècle. Cela tombe bien : Dominique Besson fait entrer en résonance l’histoire du septième art, sur laquelle il revient longuement, et son imagerie promotionnelle.
À la fin du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, le cinéma est encore une curiosité foraine. Les affiches empruntent leurs codes au théâtre et au cirque : lithographies flamboyantes, typographies monumentales, silhouettes figées. L’affiche ne raconte pas encore un film, elle vend une attraction. Mais déjà, les visages de Méliès ou de Chaplin deviennent reconnaissables, et l’imagerie contribue à installer le cinéma comme art populaire.
Avec l’avènement du parlant, l’affiche change de statut : il faut désormais traduire la voix, la musique, l’émotion. Dans les années 1930, Hollywood impose son star system, et l’affiche devient le sanctuaire des icônes : Garbo, Dietrich, Gable, Bogart. Mais en Europe, d’autres graphismes émergent : expressionnisme allemand, élégance française, premiers portraits stylisés. Chaque image fixe une silhouette et tend à transformer l’acteur en mythe vivant.
Les années 1940-1950 révèlent la double fonction de l’affiche : miroir du réel et fabrique de fantasmes. En France et en Italie, le néoréalisme choisit des images sobres, quasi documentaires : La Bataille du rail, Le Voleur de bicyclette, La Strada. L’affiche devient alors témoin d’une époque marquée par la guerre et ses cicatrices. Aux États-Unis, au contraire, l’imaginaire s’envole : les affiches de films noirs (Gilda, Le Grand Sommeil) saturent l’espace de mystères, de néons, de femmes fatales et de détectives solitaires. L’affiche dramatise et stylise ce que le film insinue.
La décennie 1960, marquée par la Nouvelle Vague, bouleverse aussi l’art de l’affiche. Les jeunes cinéastes français refusent le clinquant hollywoodien et choisissent des visuels plus épurés, inspirés du collage, de la photo volée, du quotidien. Les Quatre Cents Coups ou À bout de souffle traduisent par leurs affiches la spontanéité, la liberté, l’invention stylistique de cette nouvelle génération. En parallèle, l’Italie de Visconti ou Antonioni propose des images flamboyantes, où le design moderne épouse les tensions existentielles de l’époque. Quant aux États-Unis, ils osent la provocation : Lolita de Kubrick, avec ses lunettes en cœur, condense à elle seule une authentique révolution des mœurs.
Le Nouvel Hollywood apporte une imagerie en rupture : plus sombre, plus réaliste, plus politique. L’affiche de Taxi Driver renvoie l’image d’une Amérique désabusée, où le héros se mue en antihéros solitaire. De même, Orange mécanique de Kubrick choque par son design géométrique et sa violence stylisée. Mais dans le même temps, les affiches des blockbusters naissants (Les Dents de la mer, Star Wars) inventent une esthétique spectaculaire, saturée de couleurs et de typographies monumentales : elles annoncent l’ère de la consommation de masse.
À mesure que le cinéma se mondialise, l’affiche devient un terrain de tensions entre standardisation et singularité. Si le marketing tend à uniformiser les codes, les créateurs continuent d’imprimer leur marque, de Saul Bass à René Ferracci. Le livre Affiches de cinéma révèle ainsi la fonction profonde de ces images : elles ne se contentent pas de « vendre » un film, elles condensent une époque, elles forgent des légendes et construisent une mémoire visuelle parallèle à l’histoire du septième art.
L’affiche et le cinéma avancent ainsi ensemble dans une relation dialogique : l’affiche traduit les innovations du film, mais en retour, elle impose des images qui marquent davantage que certaines séquences elles-mêmes. Rita Hayworth en robe noire sur Gilda, Sue Lyon en lolita provocatrice, De Niro errant dans la nuit new-yorkaise : ce sont des visions d’affiches autant que de cinéma.
En parcourant cet ouvrage, on comprend que l’histoire du cinéma n’est pas seulement faite de salles obscures et de pellicules. Elle est aussi imprimée, collée sur des murs, offerte aux passants, jusqu’à devenir patrimoine commun.
Affiches de cinéma, Dominique Besson
Citadelles & Mazenod, septembre 2025, 216 pages




