Yalda, la nuit du pardon : la plus longue nuit, la nuit iranienne

Yalda, la nuit du pardon est un film dramatique réalisé par Massoud Bakshi. Sorti en salles en 2019, il est à redécouvrir en DVD depuis janvier. Il nous fait part de l’histoire tragique de Maryam Komijani, jeune femme condamnée à mort pour le meurtre de son mari, en Iran. La seule personne pouvant lui sauver la vie est Mona Zia, fille unique de son défunt mari. Si celle-ci accepte de pardonner Maryam pour le meurtre de son père, elle sera graciée.
Ce pardon éventuel aura toutefois lieu dans des conditions très particulières, puisque Maryam doit convaincre Mona de la pardonner pendant une émission de télé-réalité en direct, diffusée le soir de la fête iranienne de Yalda (solstice d’hiver).

Cette critique ne contient pas de spoiler.

Plongée au cœur de ce huis-clos…

Par sa réalisation, Yalda est un film qui s’avère rapidement très prenant pour le spectateur. A l’exception de quelques scènes en voiture, toute l’histoire se déroule dans un huis clos à l’intérieur du studio de tournage. Au début, les images nous sont délivrées au moyen d’une caméra-épaule qui dérange parce qu’elle brouille notre vision, mais qui est nécessaire pour nous faire plonger au milieu de cette intrigue dans ce bâtiment sombre : coulisses noires, plateau sombre qui tranche avec ses lumières vives, vêtements bruns ou noirs pour tous les personnages. L’ambiance est pesante comme la sentence de mort qui plane au-dessus de la tête de la jeune Maryam.

C’est ainsi qu’on est rapidement pris par cette histoire sinistre dans ce pays dont on semble n’entendre parler que pour sa violence. Et pourtant, sans même savoir, l’on veut que la jeune femme soit graciée, autant que le souhaite sa mère, mais aussi tous le personnel de cette émission, comme ce patron qui dit à la mère de Maryam qu’il essaie de sauver sa fille, que son émission sauve des vies.

… où le pardon prend tant de place.

Et c’est bien ce qui surprend : dans ce pays obscur, plongé dans les ténèbres depuis sa révolution, ce pays qu’on évite de visiter, qui condamne encore à mort, tous semblent se préoccuper du pardon. Et bien plus que dans nos sociétés occidentales. L’émission qui pourrait sauver Maryam a d’ailleurs pour titre Plaisir du Pardon. Ainsi, au lieu d’être choqué qu’on décide de la vie ou de la mort de quelqu’un dans une émission de télé-réalité, le spectateur se retrouve plutôt surpris de constater à quel point ce pardon est recherché par tous, pour Maryam. Et même si on ignore si Mona pardonnera, elle se prête tout de même au jeu, consciente de cette importance. C’est l’importance de ce pardon qui explique sa position au sein d’une émission de télé-réalité, pas un quelconque manque de pudeur.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce pardon découle de la charia, soit la loi islamique, qui, à nos oreilles, revient souvent lorsqu’on parle d’islamisme. Et pourtant, c’est de ce Dieu et de cette religion d’État, qui dans ce pays voilent les femmes et régissent la société de manière stricte, que vient cet encouragement à pardonner, à accorder ce pardon divin.

La dénonciation subtile d’une société paradoxale 

Cette recherche du pardon à tout prix s’inscrit paradoxalement dans une société que le film nous dépeint comme visuellement très sombre. En plus des décors et des costumes noirs, toute l’intrigue a lieu le temps de l’émission, soit dans une nuit d’encre.
Cette société iranienne est dure : la jeune Maryam et son mari plus âgé se sont disputés au sujet d’un avortement non consenti et celui-ci est passé par la fenêtre. Paniquée, la jeune femme s’enfuit sans appeler les secours et mort s’ensuit pour monsieur Zia. La condamnation est sans appel : pendaison. Œil pour œil, dent pour dent, peine capitale pour meurtre, y compris homicide involontaire.

La caméra dénonce aussi subtilement cette société obséquieuse – les Iraniens ont encore recours à des courbettes, à des manières serviles, à de la flatterie envers les personnes de pouvoirs – et vieillotte -, cela se voit notamment dans ces décors kitsch tout en dorures et en velours rouge.

Enfin, c’est une société d’incohérences qui nous est dépeinte : les hommes portent des costumes occidentaux, les femmes ne sont qu’une silhouette de tissu brun ou noir au-dessus de laquelle flotte un visage muet. Elles sont dans l’ombre, dans les coulisses, tandis que les hommes sont sur le plateau et aux commandes. Incohérences aussi sur l’acceptation de son physique. Ainsi, si presque tous les Iraniens qui circulent dans les scènes de Yalda sont bruns aux yeux sombres, l’actrice, la star de cinéma qui vient participer à l’émission, est une fausse blonde aux yeux bleus, à la peau claire au visage manifestement refait, contrastant superbement avec Sadaf Asgari et Bahnaz Jafari (respectivement Maryam et Mona) vraies actrices et vraies iraniennes, par rapport à la caricature qu’on nous montre à l’écran. Comme s’il fallait passer pour occidental pour réussir, y compris en Orient, où se pratiquerait donc également une forme de white-washing…

Yalda, la nuit du pardon est un film à voir pour comprendre ce paradoxe d’une société stricte où pourtant le pardon est plus présent que dans nos sociétés occidentales. Pour avoir aussi un aperçu de l’Iran d’aujourd’hui, notamment à travers un regard féminin, puisque ce film retrace le dialogue de Maryam et Mona. Enfin, Yalda est un film qui parle de courage : le courage de pardonner ou de refuser son pardon à une femme qui aurait pu sauver son père, le courage de demander pardon à la fille d’un homme qu’on aurait pu sauver. Le courage aussi dont devront faire preuve Maryam et Mona suite à l’émission.  

Yalda, la nuit du pardon : bande-annonce 

Fiche technique : Yalda, la nuit du pardon 

Réalisateur : Massoud Bakshi
Scénariste : Massoud Bakshi
Casting : Sadaf Asgari, Bahnaz Jafari, Babak Karimi, Fereshteh Sadre Orafaee, Forough Ghajebeglou
Sortie : 2019
Pays : Iran, France, Allemagne, Suisse, Luxembourg
Version originale : iranien
Genre : drame
Durée : 89 minutes

Festival du film de Sundance 2020 : World Cinema Grand Jury Prize – Dramatic