En 1961 sortit en salles Jugement à Nuremberg. Réalisé avec efficacité et rigueur par Stanley Kramer, le film retrace le procès des magistrats du IIIe Reich à travers les parcours fictifs du juge en chef Dan Haywood et des avocats de la défense et de l’accusation dans une Allemagne déjà touchée par les prémices de la guerre froide. Une œuvre conséquente sur la justice et la mémoire de retour en version remasterisée Blu-ray et DVD chez les éditions Rimini.
Synopsis : 1948. Si plusieurs des grands dirigeants nazis ont été condamnés à mort ou à la prison à vie, d’autres sont encore dans l’attente du courroux de la justice des alliés. Ainsi les procès de Nuremberg n’en sont pas à leur fin : le juge Dan Haywood est retiré de sa retraite américaine et est envoyé en Allemagne avec pour mission de présider le procès des juges du troisième Reich…
Jugement à Nuremberg : de la mémoire individuelle et collective à la compréhension du temps présent
L’introduction du juge Dan Haywood, interprété par Spencer Tracy, est significative. Accompagné par une marche allemande, le générique défile avec une croix gammée en arrière-plan sur un bâtiment. Les derniers titres disparaissent et la musique est surprise par un bombardement. Vient ensuite un traveling latéral sur les décombres de la ville nommée Nuremberg. Arrive ensuite le regard lié au point de vue précédent, celui du juge Dan Haywood fraichement débarqué en Allemagne.
Un titre vient nommer la ville, Nuremberg, là où tout a commencé et où tout doit prendre fin. Plus tard dans le film, Haywood met en pause le procès. Il décide d’errer dans la cité afin de comprendre. Comprendre ce qui a bien pu se passer quelques années auparavant. Ce qui a poussé un peuple à laisser faire ce fou d’Adolf Hitler. Comme l’Allemagne d’en-bas vivant sous son diktat. Il revisite notamment le complexe nazi dans lequel les lois antisémites sont nées, premières mesures d’une haine en puissance. Le béton est abimé, l’endroit est désert. Le réalisateur Stanley Kramer fait alors ressurgir en off l’un des discours du dictateur déchu. Au regard du personnage de Tracy, la ville semble hantée par l’Histoire, qui l’a marquée par la construction du complexe nazi et des structures industrielles du Reich et aussi par les combats qui ont ravagé la ville avec la susnommée et célèbre destruction de la célèbre svastika nazie installée sur le haut du bâtiment national-socialiste.
Le juge Haywood devra juger les anciens magistrats du régime nazi en prenant compte d’une réalité historique tout en nuances. En effet, il devra établir la responsabilité de chacun des accusés au cours du procès. Mais comme il sera remarqué, l’avocat de l’accusation – le procureur Edward Lawson –, un colonel américain incarné par Richard Widmard, veut en faire le procès de toute l’Allemagne. Marqué par les combats puis la découverte et libération des camps, il est persuadé que les allemands savaient. Ils auraient tous fermé les yeux pour leur bonheur personnel. Haywood, dans son errance, rencontre des allemands sympathiques. Les deux personnes qui s’occupent de son logement le sont peut-être un peu trop, comme s’ils avaient peur. Ou comme s’ils voulaient se racheter des horreurs nazies. Un soir, le juge les questionne. Tracy apparaît comme un vieux attachant cherchant juste à comprendre la situation. Puis la servante lui dit qu’elle et son mari ne savaient pas. Leurs enfants ont connu des morts liées au conflit. Le mari poursuit :
« Mais même si on savait, qu’aurait-on pu faire ? »
Kramer capte alors le visage durcissant de Tracy : « Vous avez dit que vous ne saviez pas… ». Le juge est perturbé. Si les allemands savaient et sont restés passifs, ne sont-ils pas eux aussi coupables ? Le parcours du personnage va être traversé par l’actrice Marlène Dietrich. Elle interprète la veuve d’un important officier allemand exécuté après l’un des précédents procès de Nuremberg. « Mon mari était un militaire », « il ne soutenait pas Hitler », « Hitler le haïssait » mais « il a été exécuté comme les autres (les grands chefs du régime nazi encore en vie à la fin de la guerre) » peut-on l’entendre dire. Elle ajoute qu’elle et son mari ne savaient pas pour les camps et le génocide organisé par Hitler et le régime nazi. Mais au moment où elle ajoute ces mots, il est trop tard. Haywood a vu les images filmées lors de la libération des camps. Inadmissible, impardonnable, injustifiable. Comment ne pouvaient-ils pas savoir ? Pourquoi n’ont-ils pas agi ? Alors que la veuve quitte le restaurant, Haywood rumine. Autour de lui, les allemands s’amusent sur un chant folklorique. Comment peuvent-ils ?
L’avocat de la défense, incroyablement interprété par le brillant Maximilian Schell, vient remettre en cause la responsabilité des allemands. « Ce n’est pas tant qu’ils ne savaient pas, ils ne voulaient pas savoir ! ». Et si les Allemands sont coupables, le monde l’est aussi : des USA qui ont réarmé l’Allemagne et donc Hitler aux pays alliés qui, avant le début des conflits, n’ont pas bronché contre la création et la mise en vigueur des lois fascistes du Reich. Maintenant, les Allemands veulent oublier. Ils ont fait face à cette réalité, certains ont résisté, d’autres ont été stérilisés après avoir émis une opinion… Lors de son importante déclaration, l’ancien magistrat Ernst Janning (formidable Burt Lancaster) explique : « les allemands pouvaient enfin redevenir fiers ». Mais un autre mal s’installait, qu’ils pensaient pouvoir écarter avant qu’il ne prenne trop d’importance : le nazisme. En 1948, cette fierté est évaporée. Et les prémices de la guerre froide tendent à influencer le procès : « il faut que les Allemands soient avec nous » dixit un officier de l’armée américaine. Il ne faut donc pas condamner trop lourdement leurs anciens dirigeants, dit-il. Comme le note très justement Ophélie Wiel sur Critikat.com, le film capte avec justesse « l’éternelle domination de la realpolitik sur la justice… »
Le dernier échange du long-métrage a lieu entre Lancaster et Tracy. Le premier lui assure qu’il a été honoré d’après jugé par un homme aussi digne. Et il l’implore de le croire : il ne savait pas pour les camps et le génocide. Si les propos de Schell ont touché la raison de Tracy, la responsabilité active de l’ancien magistrat n’en reste pas moins évidente : le pire pouvait arriver dès lors qu’un juge acceptait et appliquait les lois injustes du régime nazi. Dès lors qu’il avait fait exécuter consciemment un innocent, Janning ne pouvait que s’attendre au pire. Le mal avait pris le contrôle de la société. Plus rien n’arrêterait l’extrémisme nazi.
Jugement à Nuremberg est incroyablement nuancé et alors brillant tant il capte avec justesse la complexité du monde et de ses ressorts. Des histoires de chacun à l’Histoire et inversement ; de la notion universelle de justice au contexte légal et social d’un état ; de la responsabilité au devoir de mémoire et à la nécessité humaine de l’oubli, le long-métrage de Stanley Kramer réussit à questionner l’humanité en restant à l’échelle des individus. Cela, grâce sa réalisation efficace à l’imagerie noir & blanc signifiante, à son casting de stars investies (Montgomery Clift méconnaissable). Et bien sûr grâce à son écriture toujours prête à remettre en question les points de vue présentés et à nuancer la vision globale du monde construite tout au long des trois heures de cet impressionnant Jugement à Nuremberg.
Sur le Blu-ray et l’édition DVD
L’édition Blu-ray proposée par Rimini est portée par le merveilleux master HD de MGM. Malgré quelques instabilités d’image lors de rares moments, le rendu visuel est merveilleux : le grain est sauvegardé et le noir & blanc est nuancé. Quant au rendu sonore, on privilégiera probablement la piste 5.1 tant le mixage 2.0 manque de force. Aussi les fans de version française seront déçus. Celle-ci ne peut être pas remasterisée. Ou alors, elle l’a été honteusement. En effet, le résultat est médiocre : problème de saturation sur l’ensemble, gamme sonore limitée à la mise en avant du dialogue et de la musique. Enfin, d’un point de vue plus général, le rendu est plat.
Le film est accompagné de trois compléments et de sa bande-annonce originale. Trois bonus inédits en France, mais qui figuraient sur l’édition américaine, viennent compléter l’expérience du long-métrage le temps de trente-neuf minutes. Si ces éléments sont dignes d’intérêt, on en aurait apprécié davantage. Ce conséquent morceau cinématographique de trois heures qu’est Jugement à Nuremberg méritait plus. Ou tout du moins que ces bonus soient présentés en Haute Définition…
Si l’édition Blu-ray est ici conseillée malgré quelques bémols qui seront pour certains plus ou moins considérables, le boitier DVD souffre d’un autre défaut. Cette édition ne comporte que le supplément La valeur propre de chaque être humain (qui dure six minutes). Un problème qui est raisonnablement justifié par l’éditeur : « le film dure 172 mn en DVD, et il était impossible d’intégrer les deux autres bonus sans risquer d’altérer la qualité de l’image. » Il aurait ainsi été dommage d’altérer l’expérience SD du Jugement à Nuremberg, toutefois, pourquoi ne pas avoir envisagé une édition comportant un DVD du film et autre bonus ? Peut-être que Rimini, éditeur indépendant audacieux, ne pouvait se permettre financièrement d’en arriver là sur l’édition française de ce film ?
Bande-Annonce – Jugement à Nuremberg, de Stanley Kramer (1961)
CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES
USA – 1961 – N&B – 180 mn – Image : 1920 x 1080p HD – 1.66 – 16/9 – Son : Anglais 5.1/2.0 – Français 2.0 – DTS HD – Sous-titres : Français
COMPLÉMENTS
Hommage à Stanley Kramer (14′)
Conversation entre le comédien Maximilian Schell et le scénariste Abby Mann (19′)
La valeur d’un être humain (6′)
Bande-annonce
ATTENTION : le DVD ne propose que le supplément La valeur propre à
chaque être humain(6 mn) : le film dure 172 mn en DVD, et il était
impossible d’intégrer les deux autres bonus sans risquer d’altérer la
qualité de l’image.
Sortie Blu-ray / DVD : le 22 Janvier 2019
Prix : 19,99€ le Blu-ray / 14,99€ le DVD