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I Need A Ride To California, par Morris Engel – balade inachevée dans les images de la culture hippie

Carlotta Films a sorti le 10 mars le coffret Outside Morris Engel & Ruth Orkin. Composé de de 3 Blu-Ray, en plus de courts-métrages et publicités réalisés par Morris Engel et de quatre documentaires et archives sous forme de courts-métrages, le coffret contient quatre longs-métrages : Le petit fugitif (1953), Lovers and lollipops (1955), Weddings and babies (1958) et I Need A Ride To California (1968). C’est à ce dernier que cette critique s’intéresse. Le film, en effet a la particularité de n’être jamais sorti en salles, car inachevé et il demeure inédit en France. Également disponible seul en DVD, I Need A Ride To California a été restauré par le MoMA, avec le soutien du Celeste Bartos Preservation Fund.
Une question demeure : que nous disent les images de ce film inachevé ?

I Need A Ride To California dure une heure et seize minutes. Si cela s’annonce déjà trop court pour nous conter une histoire digne de ce nom, c’est parce que c’est le cas. Le film ne raconte pas à proprement parler un milieu, un début et une fin. Bien qu’additionné d’un synopsis dépeignant la jeune Lilly, californienne venue à New York à la fin des années 60 pour y vivre la révolution hippie, le long-métrage s’en affranchit dès les premières minutes pour briser le quatrième mur, lorsque l’actrice nous informe qu’on va tourner un film sur sa vie. Tout au long de son déroulement, I Need A Ride To California mélangera les codes, montrant au spectateur un film, ponctué çà et là de visions hors champ : caméras, équipes, techniques, clap et perches installés dans New York pour mieux tourner ces scènes qui nous sont données à voir.

Le film s’insère dans la filmographie de Engel pas seulement par son affranchissement de son scénario, mais aussi par son apparente intrigue décousue, faite d’un montage qui accroche les unes aux autres des séquences dans lesquelles l’absence des scènes n’ayant pas été tournées se fait sentir. C’est pourquoi il incombe au spectateur – sous peine de s’ennuyer – de comprendre que I Need A Ride To California n’est pas un film qui raconte une histoire, mais qu’il s’agit plutôt d’un film qui se regarde, s’écoute, se ressent. Il s’agit là d’un témoignage de son époque : point ici de reconstitution d’une culture hippie beaucoup fantasmée (et pas qu’au cinéma), le long-métrage inédit montre avec sincérité comment vivaient les hippies dans le New York de la fin des années soixante.

Une certaine poésie émane également bien sûr des images, très bien mises en musique par des chansons spécialement composées pour l’occasion, qui raconte de manière très prosaïque les errances – promenades – des personnages. Le film alterne entre ces doubles balades (balades dans les rues et ballades musicales) et de longues scènes de dialogue qui perdent néanmoins leur force dans l’extrême lenteur et l’impression de flottement du propos. Elles parviennent néanmoins à transmettre au spectateur cette recherche de sens que ressentent les personnages.

Au final, I Need A Ride To California est un film éminemment contemplatif, qui fait la part belle à l’art et à une forme de témoignage, mêlé à un regard porté sur la vie à la fois léger (matériellement) et complexe (en termes de réflexion). Metaréférence, métacinema, vrai ou faux documentaire ? Plus qu’un ouvrage de divertissement (s’il a jamais été pensé ainsi), c’est une pièce de cinéma, interrogeant sur le septième art au moyen d’une mise en abyme qui ne traite pas d’un film dans un film, mais de ce film dans ce même film…

I Need A Ride To California, Morris Engel

80 minutes, couleurs, 4k

Inédit en France, restauré par le MoMA et le Celeste Baron Preservation Fund

avec Lilly Shell, Rod Perry, Greer St John

Pas de bande-annonce disponible

Date de sortie en DVD/Blu-Ray : 10 mars 2021