A l’occasion du Paris International Film Festival, rencontre et interview du réalisateur Thierry Poiraud pour le nouveau film Don’t Grow Up présenté en compétition du Festival.
J.D. : Don’t Grow Up est, après Atomik Circus que tu as coréalisé après votre frère et Goal of Dead dont tu as réalisé la seconde moitié, le premier film dont tu es seul maitre à bord en quelques sortes. Quels avantages et inconvénients ça a de se retrouver tout seul comme ça?
T.P : Goal of the Dead, je l’ai fait moi-même, même si on partageait une même histoire avec Benjamin Rocher qui a fait la première moitié.
J.D. : Oui, mais vous deviez avoir préétablis des critères en terme de réalisation et de mise en scène parce que, même si il y a une patte dans chaque partie, il n’y a pas un fossé stylistique entre les deux « mi-temps » du film.
T.P. : C’est sûr qu’on avait travaillé en amont, surtout avec le chef opérateur (Matias Boucard, qui est revenu sur Don’t Grow Up) donc on avait une lignée, et puis c’était un sujet qu’on m’avait apporté et que j’ai retravaillé ensuite avec la même scénariste que pour Don’t Grow Up qui est Marie Garel-Weiss. Mais Don’t Grow Up c’est vraiment mon bébé que j’ai fabriqué avec elle du début à la fin. Sur la réalisation, la liberté d’aller là où tu veux, c’est aussi une peur d’aller là où tu veux parce que t’as personne… Enfin, un film c’est toujours un travail d’équipe. En fait c’est pas tant mon travail sur la réalisation qui été affecté, c’est surtout le fait de porter un sujet tout seul, et sur les choix de montage et de musique aussi. L’idée qu’un réalisateur soit seul, c’est pas vrai, on est toujours aidé. C’est dans les choix d’écriture, sur ce que tu veux raconter, les choix artistiques et les personnages, tout ça c’est tes choix à toi en fait.
J.D. : Avant de percer au cinéma, avec ton frère vous avez fait les Beaux-Arts puis vous avez travaillé dans la publicité et un peu dans la vidéo musical. Qu’est que tu as tiré de ce parcours?
T.P. : Avant même de faire des courts-métrage live, on faisait de l’animation et on écrivait des scénarios. Nous ce qu’on voulait faire dès le début c’était des films fantastiques un peu bizarres donc personne n’en voulait, donc il a fallu qu’on prouve qu’on savait des films. C’est comme ça qu’on en est venu à faire des clips et de la publicité pour gagner notre vie et faire nos preuves en fait. La publicité, contrairement à ce que les gens pensent du fait qu’il y ait beaucoup d’argent, on ne fait absolument tout ce qu’on veut. Ça m’a appris une rigueur de devoir, en très peu de temps de tournage, raconter une histoire et que tout, les cadres, les personnages, soient superbes. Donc ça implique une énorme rigueur qu’il faut être très rapide tourner jusqu’à trente plans par jour, même si on sait qu’à la fin on n’en gardera que quelques secondes. Il faut savoir ce qu’on veut raconter, on ne peut pas se perdre parce que ça coûte trop cher. La publicité c’est une bonne école pour apprendre à être très concentré et très rapide pour choisir ses cadres sur un plateau. Le clip, c’est autre chose, c’est de l’expérimentation, on te laisse inventer des univers et des lumières même si ce n’est pas propice à raconter des histoires.
J.D. : Pour en revenir à Don’t Grow Up, d’où t’es venu l’idée de faire un film sur l’adolescence en reprenant cette thématique du zombie que tu avais déjà exploité dans Goal of the Dead ?
T.P.: Au départ, j’avais seulement envie de faire un film sur l’adolescence, sur le passage à l’âge adulte, qui étaient des sujets qui m’intéressaient. On a commencé a travaillé dessus, et après on a vraiment eu envie d’en faire un fantastique, alors je me rappelle qu’on début on a hésité entre une histoire de vampires et même de l’horreur sans fantastique, mais il y avait ce contexte d’un foyer isolé sur une île. C’est quand on a commencé à développer les personnages, nous est venu cette idée d’infection qui ne touche que les adultes qui est devenue l’histoire du film. La véritable idée de cette chronique c’était que, dans une première partie, ils soient chassés par des adultes, dans une deuxième partie ils soient chassés par des enfants, parce qu’ils sont pile-poil au milieu, c’est ça la métaphore de ce passage. Du coup on s’est retrouvé à développer cette histoire mais les idées sont venues par la suite.
J.D. : Tous ces jeunes acteurs, comment tu les as trouvé ?
T.P. : C’était surtout sur des castings dont une grande partie a été faite à Londres. Ils sont à 80% anglais.
J.D. : C’est pour ça que tu as tourné ton film là-bas, parce que la législation française rend très difficile de faire tourner des gosses, surtout dans un film d’horreur ?
T.P. : Non, c’est pas pour ça. Si on doit comparer, les acteurs anglais ont une autre façon de travailler qu’en France, ils sont beaucoup plus laborieux, ils ne sont pas mieux ni moins bien mais pour moi qui aime bien préparer en avance c’est très agréable. Là, la spécificité c’était que c’étaient des non-acteurs, des adolescents. C’était censé être des adolescents qui sortent de foyer, donc déjà trop matures pour leur âge parce qu’ils ont vécu beaucoup de difficultés, donc le plus dur ça été de trouver des enfants. On a été chercher dans des foyers mais ils voulaient pas jouer alors on a trouvé des pré-ados qui avaient joué un peu au théâtre. Une fois qu’on avait nos acteurs, ils devaient travailler avec leurs émotions même s’ils n’ont vécu que 15-16 ans, ce qui fait que leurs personnages leur ressemblent beaucoup et le plus compliquer ça été de répéter et d’apprendre à les connaitre. On a passé 10 jours en vase clos à répéter, à jouer au foot, à se baigner, à passer des soirées ensemble, à regarder la télé pour voir qui vannait qui… Je les ai étudié en même temps que se créait un groupe et avec la scénariste Marie on a réécrit beaucoup en fonction de ces personnages. Du coup, on a dû être très rapides parce qu’on avait pas beaucoup de temps sur le plateau. Je ne sais pas si c’est bien ou pas, mais on a vraiment repensé le scénario en fonction des personnages et des apports des jeunes comédiens.
J.D.: Puisque l’enjeu horrifique de ton film c’est le passage à l’âge adulte, comment est-ce que tu considères les clefs pour ce passage, puisque, dans le film, c’est le personnage qui a l’air d’avoir le moins de personnalité qui va faire le premier cette transformation, alors que ceux resteront à la fin sont les deux dont on sent qu’ils ont le plus de vécu?
T.P.: Parce que c’est pas une question de vécu justement. On a étudié la question de l’âge adulte chacun de notre coté et chacun y a mis ce qu’il avait envie de mettre. Moi, c’est surtout la définition qu’en a fait Françoise Dolto, qui tente à dire que l’âge adulte c’est à partir du moment où tu puisses t’oublier en tant que personne pour donner à l’autre,, sachant que l’enfant est extrêmement égocentrique, qu’il ne voit le monde qu’à travers son prisme à lui. Donc dès que tu commences à t’occuper de l’autre, ça peut en devenant parent, en aidant des gens ou en tombant amoureux, puisqu’on est prêt à s’abandonner pour quelqu’un d’autre. Et dans l’histoire le premier à être infecté, il était secrètement amoureux de sa camarade, alors que celui qui meure, il a beau avoir son flingue, c’est un grand gamin donc il n’aurait pas pu être touché. Notre héros principal était très ancré dans ses problèmes à lui, et s’il est infecté ce n’est pas parce qu’il couche avec sa copine mais parce qu’il se confie à elle et en tombant amoureux d’elle, il se libère du poids de ses traumatismes d’enfant. On est parti de ce principe pour tricoter notre histoire.
J.D.: Et je suppose que l’idée de la gamine, la petite black muette, c’est pour condamner tes derniers personnages en leur donnant la responsabilité d’une adoption en quelque sorte?
T.P. : C’est tout à fait ça. La fin où l’héroïne part avec elle sur sa barque, on l’avait depuis le début même si on a imaginé des scénarios avec ce qui pourrait se passer après, si elles atteignaient le continent notamment, mais on ne les a pas gardé parce qu’on comprend bien qu’elle devient adulte en resserrant la gamine et en abandonnant derrière ses rêves d’enfant et son « prince charmant » alors que poursuivre le mélodrame au-delà ça devenait un peu con. On a vraiment voulu clore sur une touche d’espoir autour de la notion de famille.
J.D. : A l’origine, tu désirais tourner au Canada, la production t’a finalement fait tourner dans les îles Canaries. Comment tu as fait pour réadapter les décors à ta vonté, étant donné que les paysages ont une place centrale? Est-ce que tu as dû refaire tout ton découpage?
T.P.: Ça c’est justement l’école de la publicité parce qu’on arrive sur le plateau et on tire au mieux de ton décor. Tu redécouvres un lieu dont tu ne connais rien et tu apprends à l’expoiter. Le plus dur c’est que j’avais passé deux ans au Canada à faire des repérages, je les imaginait avec leur look dans la neige, et quand j’arrive aux Canaries ils sont tous en maillot de bain, ça n’était rien à voir. Le plus compliqué ça a été de me rebooter le cerveau, j’y croyais pas…
J.D.: Et pourtant toute la première partie j’ai cru que ça passait dans des îles nordiques donc quand j’ai vu le désert ça m’a choqué.
T.P.: On a triché, grâce aux cadres en fait, j’ai fini par recomposer ce que j’avais dans la tête, à part la neige bien sûr mais je l’ai remplacé par le desert, mais qui est très blanc aussi. Avec le chef op’ on s’est vraiment amusé à recadrer pour créer notre petit Canada à nous. J’avais à retrouvé la rudesse et les grands décors qui me plaisaient là-bas, ça m’a pensé à réfléchir à ce que je voulais vraiment et à essayer de le recréer moi-même.
J.D.: Et les plans aériens…?
T.P.: Alors ça, on a triché, le plan d’ouverture on l’a fait là bas mais le plan sur la forêt c’est un plan que mon chef op’ a filmé en Finlande pendant qu’il tournait une publicité, il s’est dit que j’en aurai besoin et il a eu raison. C’est ça les films à petit budget, c’est la démerde. Mais j’avais besoin de montrer la petitesse de ces enfants face à l’énormité du monde, c’est ce qui fait qu’on ne sait pas trop où ça se passe.
J.D.: Et maintenant, tu es sur une autre projet?
T.P.: J’ai appris qu’il valait mieux avoir trois-quatre projets en même temps pour espérer en voir un aboutir deux ans plus tard. J’en ai plusieurs, ça va d’un thriller avec encore un enfant, à une comédie un peu plus folle et j’ai des projets de série télé aussi, une série un peu foldingue qui prépare.
J.D. : Tu comptes continué à travailler seul comme là ou retravailler en collaboration?
T.P.: Justement, la série télé c’est différent de la solitude du long-métrage, puisqu’en plus de partager la réalisation des épisodes, c’est un travail de troupe qui se rapproche un peu du théâtre et on cohabite avec plusieurs auteurs, ce qui est très agréable!
Le lendemain, le film Don’t Grow Up, plébiscité par le public du PIFFF, remportera l’Œil d’Or du meilleur long-métrage.