Tout fout le camp, noir c’est noir y’a plus (beaucoup) d’espoir. On préfère vous prévenir : la cuvée du jour de l’Arras Film Festival nous fait regarder le monde passé-présent-futur droit dans les yeux sans nous montrer la lumière au bout du tunnel. Heureusement qu’il nous reste l’ivresse, et le cinéma pour se poser les bonnes questions. Ensemble.
On entame tout de suite avec le meilleur du pire. Jouer avec le feu fait beaucoup parler depuis sa projection à Venise en septembre dernier, et l’attribution de la prestigieuse Coupe Volpi à Vincent Lindon. Il est vrai que le visage (à l’écran, hein) du français moyen qui avait pas demandé à la vie de lui déféquer dessus y propose l’une des plus fines variations de sa partition de prédilection. Il incarne Pierre, cheminot, veuf et (très bon) père de deux fils en études supérieures. Tout va bien dans le meilleur des mondes au sein de cette cellule familiale habitée par une sérénité en trompe l’œil. Car l’aîné glisse doucement mais surement vers l’ultra ultra-droite, et Pierre ne sait absolument pas quoi faire pour l’arrêter… Sinon ne rien faire, du moins dans un premier temps. Éviter les sujets qui fâchent, glisser la poussière sous le tapis pour ne pas rompre le lien, métabolisé à l’écran par un jeu constant sur la mise au point pour faire circuler les non-dits entre les personnages, déjà loin les uns des autres malgré leur partage du même cadre. Cette 25ème édition de l’AFF a manifestement décidé de renverser la table du champ-contre/champ, et Jouer avec le feu prend la pole position de la sédition.
On a rarement vu mise en scène mettre les deux pieds dans le plat avec autant de délicatesse, se confronter aussi frontalement à son sujet difficile tout en le murmurant du bout des lèvres (on pense parfois à du Antoine Fuqua). À l’instar du personnage de Vincent Lindon, finalement, qui passe son temps à raser les murs pour garder son fils près de lui. Ici l’objet n’est pas tant la montée de l’extrême-droite qu’une famille qui choisit de ne plus se parler pour ne pas imploser, pour rester proche dans tous les sens du terme. L’écho au fond d’une société où chacun vit sur le même espace mais chacun de son côté. On l’a dit et redit : les grands films sont ceux qui réconcilient les contradictions les plus insolubles et dans Jouer avec le feu, le Ying et le Yang partagent la même face de la même pièce. D’autant qu’à côté d’un grand Lindon, les deux cinéastes peuvent aussi compter sur un tout aussi grand Stefan Crepon et un très très grand Benjamin Voisin dans le rôle du fils gagné par la fièvre brune. Une coupe Volpi partagée, au minimum.
Ce n’est pas l’espoir qui étouffe David Oelhoffen dans Le Quatrième Mur. Pour son cinquième film, le cinéaste adapte un roman de Sorj Chalandon, qui raconte comment un acteur de théâtre rallume la flamme éteinte en lui en essayant de monter une pièce de théâtre au Liban, quelques temps avant les massacres de Sabra et Chatila. Quand l’espoir semble encore permis, et qu’il existe encore une place pour les Don Quichotte de défier l’impossible, et de faire de leur rêve la réalité de chacun. Le sujet appelait une exaltation au-delà du raisonnable, notamment pour nous permettre de partager la foi qui anime le personnage personnage principal. Mais le film pêche par retenue, notamment à travers une mise en scène trop timide pour nous emporter dans l’élan créatif des personnages en temps de guerre.
Pourtant, on aurait bien aimé y croire un peu plus à la réussite de cette Antigone interconfessionnelle au milieu de l’une des guerres civiles les plus meurtrières de la fin du siècle dernier. Ne serait-ce que pour penser, même l’espace d’un instant, que la culture peut rester essentielle quand les besoins vitaux sont en danger. Et pour partager le parcours du personnage incarné par le comme d’habitude excellent Laurent Laffite, qui perd aussi vite qu’il l’a retrouvée la foi dans la capacité du beau à vaincre la laideur. Le quatrième mur a quelque chose de trop théorique, comme s’il était autoconvaincu que l’art peut faire une différence essentielle, même quand les besoins vitaux des uns et des autres se trouvent sur la ligne de feu. Une évidence qui ne l’est pas forcément pour tout le monde.
Un qui a la conviction chevillée au cœur et à la caméra, c’est Pavlo Ostrikov. Il y en fallu du courage et de l’abnégation au cinéaste ukrainien pour faire exister U Are the Universe. Tout comme il en faut à son héros, astronaute pépouze dans sa station spatiale, qui assiste à la fin du monde depuis son hublot. Dernier de l’espèce et seul dans le grand vide avec un ordinateur de bord pour seul compagnon, ça ne l’effraie pas plus que ça. Jusqu’à ce qu’il reçoive l’appel au secours d’une consœur perdue dans l’espace. Pavel va tout faire pour combler les quelques millions d’années-lumière qui les séparent, jusqu’à mettre sa vie en danger.
La destruction de la Terre, c’est pas la fin du monde. Il en faut, de la foi en son médium pour faire avaler un tel postulat au spectateur. Il en faut tout autant pour lui faire acheter un personnage de mec seul prêt à tout, y compris et surtout l’impossible, pour retrouver la voix dont il est tombé amoureux. Mais bon, comme tout a sauté, plus personne pour parler de masculinité toxique, donc roulez jeunesse.
U Are the Universe fait partie de ces films qui n’ont pas peur de s’affranchir de tout, qui ont la conviction que le cinéma peut encore devenir le dénominateur commun de l’espèce, défier le sens commun pour fédérer autour d’une évidence universelle. Ça commence comme une adaptation live de Futurama (la série de Matt Groening), ça continue comme Her (et Volodymyr Kravchuk dépasse Joaquin Phoenix dans le rôle principal) et ça termine en réconciliant le macro et le micro comme les plus grands ayant arpenté l’infini et (l’)au-delà avec leur caméra. Tout ça, et bien plus que ses influences. En dépit d’un mini problème de rythme sur son dernier tiers, U Are the Universe est un film qui réussit à faire tout et son contraire sans dévier d’une trajectoire en avant toute et droit devant. On espère très fort que le film trouve un distributeur dans nos contrées : We found love in other (s)paces, définitivement.