Gérardmer 2015 : Entretien avec Alexandre Aja
Membre du Jury long-métrage à l’occasion de la vingt-deuxième édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, Alexandre Aja a bien gentillement accepté de nous recevoir pour évoquer le festival, la production de genre en France et faire un point sur ses prochains projets.
LeMagduciné : C’est votre troisième venue à Gérardmer. Quel est votre rapport avec le festival ? Est-ce-que le fait d’y être présent en tant que membre du jury touche à votre histoire personnelle ? On se souvient que tout a commencé pour vous lors de la présentation de Haute Tension au TIFFF (Festival du Film International de Toronto). C’est ce qui a véritablement lancé votre carrière internationale. Est-ce-que vous êtes dans une optique de passage de flambeau ici, à trouver la perle du cinéma de genre de demain?
Alexandre Aja : C’est assez amusant, parce que l’évolution du marché et l’exploitation des films font que les festivals vont devenir de plus en plus importants pour les nouveaux cinéastes. Quand Alex Garland (réalisateur de Ex Machina, ndlr) disait « les films ont besoin des festivals », il a raison. Avec l’exposition VOD qui va devenir universelle sur tous ces films d’auteur, en se détachant de l’étiquette sale de Direct-to-Video (DTV), les festivals vont faire la différence. Ca a d’ailleurs toujours été le cas. C’est là tout le but d’être présent en festival, pour être reconnu et créer le buzz. Oui, Haute Tension ça a commencé au TIFFF puis ça a continué avec Sitges, et ça s’est confirmé avec Sundance. Ça a énormément aidé. Vous savez, c’est tellement agréable de parler tout le temps des films. Quand on fabrique des films, on en parle entre amis mais on a peu l’occasion de confronter notre point de vue avec d’autres gens. Quand on est jury, c’est une occasion géniale de voir des films ensemble, de devoir en parler, et justement d’apprendre de ces nouvelles versions et visions des cinéastes de demain. L’unanimité n’est jamais là et c’est ça qui est intéressant. A Gérardmer, il y a quelque chose propre au festival de genre. Une ambiance unique. Une curiosité plus axé sur le cinéma d’auteur. Ici, il y a un respect du genre en comparaison avec d’autres manifestations. C’est très intéressant.
Au cours d’une interview, Christophe Gans évoquait une vague French Frayeur que vous avez initié dès Haute Tension. Aujourd’hui on pourrait penser que cette vague a tendance à s’essouffler. Pensez-vous qu’aujourd’hui le cinéma français est récalcitrant à produire du film d’épouvante ou est-ce la demande du public hexagonal qui n’est pas satisfaisante ?
AJA : Malheureusement, je pense que le cinéma de genre français est quasiment mort, ou du moins agonise. Christophe Gans est un dinosaure, l’un des rares seuls à avoir produit cette année un film fantastique français à gros budget (La Belle et la Bête, ndlr). Je suis extrêmement triste et négatif sur cet état où on n’a pas réussi ce que l’Espagne a fait si brillamment. Ils ont réussi à établir un cinéma de genre en espagnol avec des réalisateurs monstrueux et à acquérir une reconnaissance à la fois critique et publique. L’Orphelinat, [REC], ce sont des films qui font des millions d’entrées. C’est terrible. En France, peu importe le film, que ce soit Haute Tension, Martyrs, Frontière(s), A l’intérieur, tous, il n’y en a pas un qui fait plus de 150 000 entrées. Et ce n’est économiquement pas vivable. Alors oui, il y a un noyau de fans hardcore qui sont les lecteurs de Mad Movies ou de l’Ecran Fantastique. Mais au-delà de ce groupe, il y a une sorte d’a priori général, un consensus implicite dans le public français qui pense que sous prétexte qu’un film d’horreur serait en français, ça ne va pas marcher. Il pense que ça serait cheap. Pourtant, on donne la chance au cinéma de genre asiatique, anglais, américain ou espagnol. En France, ce n’est pas possible. Est-ce-que c’est un échec de notre côté, des réalisateurs qui font les films et n’ont pas réussi à créer des œuvres assez incroyables pour faire changer l’avis des gens ? Peut-être. Des films comme Martyrs ou A l’intérieur ne sont pas aussi accessibles que peuvent l’être [REC] ou The Descent. Ce sont des films terrifiants mais qui ont tout de même une faculté à aller au-delà de quelque chose de trop intime, trop gore, trop marginal.
C’est un vrai que c’est un peu le paradoxe français D’un côté, on a une production hexagonale de genre inexistante et à l’inverse on a des tas de festivals fantastiques en France. Gérardmer donc, Strasbourg, L’Etrange Festival, Nice, le PIFFF, les Hallucinations Collectives, etc.
AJA : La production française est difficile car elle se fait principalement sur des pré-achats avec les chaînes hertziennes, du câble, Canal +. Sans oublier le CNC et les distributeurs. C’est à partir du moment où les chaînes TV n’achètent plus rien avec une interdiction de plus de douze ans qu’on peut déjà ressentir une censure indirecte de la part des partenaires financiers. C’est ce qui fait que la production française est mal barrée. Le problème vient également du fait qu’il n’y ait pas de public. C’est très compliqué sans engouement. Il faudrait que des groupes, des mini-majors se lancent avec un véritable investissement et une prise de risque pour faire exister ces films-là.
Comment voyez-vous l’évolution du cinéma de genre ? Comme une réinvention du cinéma ou un retour aux codes fantastique ancrés ?
AJA : Ça se réinvente à chaque fois. Si ça ne se réinvente pas, ça crée de l’ennuie et le spectateur se lasse parce qu’il anticipe. C’est très intéressant dans les festivals de voir la production avec le public. Un public qui est un acquis pour le genre. Ce sont des gens qui ont envie de voir ce type de productions. Quand ils aiment, ils aiment et quand ils n’aiment pas, il faut vraiment l’avoir voulu pour qu’ils n’aiment pas. On est tout de même en terre conquise. C’est intéressant de voir comment les vieilles formules et les clichés ne prennent plus. Les gens se lassent, et perdent l’envie. On sent un rejet du public. Alors qu’au contraire, quand le film se réinvente et apporte son lot de surprises, ça change tout. Et ça devient vraiment intéressant.
Par rapport au rôle de la VOD, vous pensez qu’il y aura une incidence cruciale ? Pensez-vous que ça puisse être bénéfique pour les réalisateurs ?
AJA : Ce qui se passe en ce moment avec la VOD aux Etats-Unis est nouveau. Et ce qui va s’étendre au reste du monde, ça sera des tournées en festival avec d’éventuelles sorties en salles. J’espère que la France continuera à résister. Mais c’est vrai que l’exploitation VOD va devenir très vite surchargée. En tant que fan, ce n’est pas si mal que ça. Tout d’un coup, on entend parler d’un film qui a fait sensation au Fantastic Fest et deux mois plus tard, on va pouvoir le voir sur des plateformes vidéos en ligne. Il y a une sorte d’accélération de la consommation. Ça, c’est pas mal. Mais comment va-t-on faire la différence entre les DTV d’exploitation -avec ses charmes mais que je ne qualifie pas de cinéma- et les DTV qui sont des films d’auteur ? C’est ce qui se passe aux Etats-Unis, même avec des films à Oscars, qui ont une sortie limitée en salles et qui sortent ensuite en VOD. J’espère que ce changement dans l’exploitation des films va permettre au cinéma de genre de redevenir un cinéma d’auteur. Jusque-là, la sélection de Gérardmer montre sur certains films qu’on a affaire justement à un cinéma d’auteur. Pas un cinéma de pur divertissement mais un cinéma qui donne à réfléchir, qui dit des choses et montre un style complètement nouveau. La démarche post-moderne de s’auto-référencer en permanence est un peu le danger du genre. Elle devient quelque chose qui appartient désormais au passé. Aujourd’hui, on sent des auteurs qui arrivent avec des films qui sont à la fois visuellement incroyables, narrativement intéressants et posent de bonnes questions. Là il y a une évolution, c’est sûr.
En ce qui concerne le casting de vos films, des acteurs aussi incroyables que Daniel Radcliffe (Horns), Ted Levine (La Colline a des Yeux) ou Jerry O’Connell (Piranha 3D) ont déjà joué pour vous. Est-ce-que vous participez à cette phase de casting ?
AJA : Bien sûr. Les premiers rôles sont parfois une évidence. Mais pour certains rôles secondaires, il y a prescription. Par exemple, à la base sur La Colline a des Yeux, ça devait être Ray Liotta. Mais il ne voulait pas mourir. Donc on a dû changer. Heureusement, Ted Levine était absolument parfait. Il y a toujours des histoires sur chaque plateau. Sur Piranha 3D, Adam Scott devait jouer le rôle de Jerry O’Connell. Parce qu’il était tellement drôle dans Frangins malgré eux (Step Brothers), pour moi il était le personnage parfait. Mais un jour, il m’a dit qu’il avait déjà joué ce genre de personnage et m’a demandé s’il pouvait changer. Et c’est comme ça qu’on a interverti les rôles avec Jerry. Mais à chaque fois, le casting c’est l’essence-même de la régie d’un film. Parfois, on se trompe et des fois on réussit dès le premier coup.
La Neuvième Vie de Louis Drax est actuellement en post-production. Une première image a filtrée. Est-ce-que tu peux nous en dire plus sur ce film ?
AJA : Le film est basé sur le livre éponyme du même nom de Liz Jensen. Un film que devait réaliser à l’époque Anthony Minghella, juste avant de mourir. Son fils Max Minghella -avec qui j’ai travaillé sur Horns– a écrit un script qu’il m’a remis un jour sur le plateau. Et c’était l’un des plus beaux scripts que j’avais jamais lu. Une histoire bouleversante. Je ne connaissais pas encore le livre mais je savais qu’il fallait que je le fasse. L’histoire commence à San Fransisco, c’est un petit garçon de neuf ans qui tombe d’une falaise dans l’océan et va se retrouver dans le coma. C’est une sorte de double-enquête, de thriller psychologique. D’un côté, il y a l’enquête de cet enfant dans le monde inconscient du coma qui va essayer de rassembler les pièces du puzzle pour comprendre ce qui est lui arrivé. Est-ce-qu’il est tombé ou est-ce-qu’on l’a poussé ? De l’autre côté, il y a l’enquête du docteur qui s’en occupe et va essayer de le ramener au réveil. Se faisant, il va tomber amoureux de sa mère. Il va alors se retrouver aussi au cœur d’un autre mystère. C’est une sorte de films à plusieurs couches sur les mystères sombres que l’esprit humain peut cacher. Il y a également du fantastique à travers le monde onirique de celui du coma.
Du coup, sur La Neuvième Vie de Louis Drax, on retrouve Aaron Paul, Sarah Gadon et Jamie « Mister Gray » Dorman.
AJA : Pour des raisons très différentes, ce sont trois personnages qui ont tous un retournement. Des personnages assez complexes avec pas mal d’épaisseur. Aaron Paul s’est imposé assez vite. Sarah Gadon également, même si le film avait été développé avec une autre actrice. Malheureusement, cette dernière a refusé au dernier moment en acceptant un autre film. Mais c’est vrai que j’avais envie de travailler avec Sarah. Je l’avais vu dans Cosmopolis et Maps to the Stars. Dans tous ses films, elle a une nouvelle personnalité. Dans A Dangerous Method, c’est une actrice qui interprète quelque chose qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Dans Enemy également. Jamie Dorman est pour moi un acteur sous-estimé par ce qu’il a fait pour le genre à travers The Fall qui reste une série très intéressante. Il a livré une interprétation très loin de ce qui se fait habituellement chez les serial-killer. Il y a un côté extrêmement froid, simple et minimaliste dans son incarnation de ce tueur, au-delà de son rôle attendu dans Cinquante de Nuances de Grey que je n’ai pas encore vu. Son rôle de Mister Gray va peut-être nous aider à faire décoller le film.
Alexandre Aja, vous êtes également producteur. Notamment du prochain film de Johannes Roberts (Storage 24), The Other Side of the Door. Vous avez quelques infos sur l’avancement du projet ?
AJA : Oui, nous sommes actuellement en post-production. C’est un film de maison hantée qui se passe à Bombay (Inde), sur fond de mythologie hindouiste et de réincarnation. C’est un scénario original de Johannes qui m’a foutu une claque quand je l’ai lu. On retrouve le meilleur de Simetierre, et tout ça avec le côté exotique d’un couple américain et leurs enfants qui vivent en Inde et vont faire face au surnaturel. C’était une expérience incroyable de tourner en Inde avec l’aide de la Fox. On espère le sortir en salles d’ici la fin de l’année. Chez Fox, avec qui j’ai produit récemment The Pyramid, ils sont extrêmement contents. The Pyramid marche très bien au box-office mondial : Numéro 1 en Russie, Malaisie et Indonésie. Pour un film de 4 millions de dollars, on est quasiment sûr d’aller au-delà des 25 millions de recettes globales. Ils sont très contents. C’était d’ailleurs ça l’idée avec Fox. Sans le vouloir, on a commencé à travailler sur des sujets qui impliquent des américains ou des anglais dans des pays étrangers sur du cinéma de genre. The Pyramid en Egypte, The Other Side of the Door en Inde et on recherche encore d’autres idées. Il y a énormément de sujets super intéressants dans ce côté à faire sortir des gens de leur contexte. C’est difficile de faire quelque chose de rafraîchissant sur le thème de la maison hantée mais dès que tu arrives en Inde, tu découvres une autre dimension, plus inspiratrice.
Je reviens au casting mais cette fois du côté de l’équipe technique. Depuis vos débuts, on remarque que vous tournez avec la même équipe à quelques exceptions prêtes. Votre directeur photo Maxime Alexandre, votre scénariste Gregory Levasseur, Baxter au montage ou encore Rob à la musique. Vous produisez également les films de Franck Khalfoun. Est-ce-que dans le processus de création de vos films, c’est essentiel d’avoir la même équipe ? D’avoir la même famille sur chaque tournage ?
AJA : D’un point de vue purement égoïste de réalisateur, ce qui compte c’est le résultat. Le fait que je continue à travailler avec les mêmes personnes, c’est parce qu’à chaque fois je suis extrêmement heureux du résultat. On n’a pas pu travailler avec Maxime Alexandre sur Horns. Mais j’étais extrêmement heureux de travailler avec Frederick Helms (directeur photo sur Blue Velvet, Broken Flowers, etc.), qui est un géant de la photographie. J’adorerais refaire un autre film avec lui, et j’en referais surement un. Ca dépend des disponibilités. Je ne suis pas Ridley Scott. Je ne peux pas avoir une équipe qui reste assise à attendre que je fasse mon prochain film. Des fois, ils sont libres, des fois ils ne le sont pas. Quand on fait des films aux Etats-Unis où la direction artistique n’est pas un acquis, c’est vrai que c’est important d’avoir un groupe de gens fidèles autour de la création et qui partagent la même vision. C’est important de pouvoir s’accrocher à ce noyau dur.
Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps, Monsieur Aja.
AJA : Merci à vous.
Entretien réalisé avec trois autres confrères, dont un rédacteur des Chroniques de Cliffangher.
Merci à Clément de l’agence Public Système pour avoir permis cette rencontre.