Pour son premier long-métrage, Brandt Andersen sacrifie le fond de son sujet éminemment tragique contre une immersion totale dans une course effrénée de réfugiés politiques en lutte pour la survie. Emballé dans un film choral qui ne manque pas d’audace, car assez bien exécuté lorsqu’il ambitionne de nous partager la frayeur des personnages de The Strangers’ Case. Le film perd cependant en tension à force de multiplier des filons narratifs qui auraient mérité plus d’attention.
Synopsis : Une tragédie frappe une famille syrienne à Alep, déclenchant une réaction en chaîne d’événements dans quatre pays différents impliquant des personnes unies par un lien de parenté, dont une doctoresse et sa fille, un soldat, un passeur, un poète et un capitaine des garde-côtes.
Touché par les nombreux récits sur les vagues de réfugiés syriens qui ont fui leur pays, le producteur (Everest, Silence, Barry Seal : American Traffic), reconverti en cinéaste, a réalisé le court-métrage Refugee en 2020. Fort de son succès et avec un arrière-goût d’inachevé dans la rétine, il finit par reprendre une bonne partie de son casting original (Yasmine Al Massri, Jay Abdo, Massa Daoud, Jason Beghe, Ayman Samman et Omar Sy) afin de remonter le parcours de nombreux étrangers, condamnés à l’exil et à la recherche d’un monde meilleur. Mais existe-t-il vraiment ?
Les premiers jours d’un étranger
La guerre a toujours poussé les habitants à tourner le dos aux conflits, mais dès l’ouverture, à l’abri d’une ambiance mortifère, nous suffoquons déjà dans une atmosphère claustrophobique. Les plans sur Chicago sont remplis de buildings de verre, illustrant ainsi un monde terne et lisse, à l’image d’un hôtel Trump à l’opposé du DuSable Bridge. Quelque part dans cette ville, nous découvrons une Amira bouleversée par un rappel sur son téléphone qui rouvre des plaies qui ne se refermeront probablement jamais. Huit ans plus tôt, Amira était une infirmière syrienne des plus compétente et des plus endurantes, assurant jusqu’à 72 heures de garde. Malheureusement, le pays implose entre la traque de « rebelles » et les dommages collatéraux dus aux bombardements. Le film propose alors de suivre son parcours semé d’embûches, en explorant le point de vue de plusieurs personnes qu’elle est amenée à croiser jusqu’aux terres saintes grecques.
Armé d’une caméra à l’épaule pour faire valoir la détresse d’une nation écartelée, Andersen flirte avec le style documentaire en montrant l’horreur de face, là où Rebel misait sur une reconstitution ponctuée de séquences musicales symboliques. Il n’hésite pas non plus à piocher dans les codes du film catastrophe pour développer les traumatismes de chaque protagoniste. Il s’agit sans doute du format le mieux adapté afin de capturer le drame dans le vif. Principalement tourné en Jordanie et en Turquie, le cinéaste réussit donc à rendre ses décors crédibles et authentiques pour chaque étape du voyage. Il est toutefois dommage que le cinéaste s’appuie autant sur la musique de Nick Chuba pour valider les sentiments d’injustices et d’impuissance qui nous ont déjà envahi. Cette sur-dramatisation peut expliquer l’absence de tension dans des moments clés, comme lors d’une séquence sur un bateau pneumatique.
Déjà présenté en hors compétition à la Berlinale, le film continue à naviguer vers les festivals qui souhaitent compenser le surplus de drames avec un choc visuel sans détour et foncièrement destiné au public occidental. Preuve en est lorsque la citation de William Shakespeare trouve un écho et une saveur particulière autour d’un déjeuner dans un restaurant assez chic pour que le sujet de l’immigration n’étouffe pas les convives, plus ou moins impliqués dans cette tragédie humaine. Le montage de fin prend également soin d’énumérer tous les cadavres laissés derrière soi entre la cité dévastée d’Alep et Chicago comme point de chute.
Moins linéaire que Moi, capitaine de Matteo Garrone, The Strangers’ Case tombe dans le piège de la démonstration technique, effectivement remarquable, mais qui se trouve parasité par le pathos qui surnage tout du long et par un chapitrage qui casse le rythme. Le second film présenté en compétition tient toutefois ses promesses si l’on s’arrête à ses honnêtes reconstitutions documentaires, dénonçant et nuançant ainsi la violence humaine au-delà de nos frontières.
The Strangers’ Case est présenté en Compétition au Festival de Deauville 2024.
Fiche technique
De : Brandt Andersen
Année : 2024
Durée : 1h37
Avec : Yasmine Al Massri, Yahya Mahayni, Omar Sy, Ziad Bakri, Constantine Markoulakis, Jason Beghe
Nationalité : États-Unis