Todd Wiseman Jr. nous a fait l’honneur de présenter son premier long-métrage à Deauville en première mondiale. Entre Battle Royale, Hunger Games et Américain Nightmare, The School Duel décolore les valeurs d’une Amérique soucieuse de son contrôle et de sa sécurité. Un plongeon dans un monde post-apocalyptique et familier, où l’instrumentalisation de la violence va de pair avec une religion qui honore ses rois et pleure ses martyrs.
Synopsis : Dans un futur proche, l’État indépendant de Floride a aboli le contrôle des armes à feu et les fusillades dans les écoles n’ont jamais été aussi nombreuses. Sammy, un jeune garçon de 13 ans écorché vif à la recherche d’une notoriété malsaine, décide de participer à une compétition mortelle appelée « The School Duel ».
Après la célébration de son court-métrage de science-fiction The Exit Room au Tribeca Film Festival, sur un journaliste qui risquait la potence par le gouvernement lors d’une future révolution américaine, Todd Wiseman Jr. n’a pas renoncé à explorer les défaillances d’une société qui continue de retourner ses armes contre elle. C’est effectivement le cas avec sa nouvelle dystopie, où la jeunesse est sacrifiée sur l’autel de l’endoctrinement et du divertissement. Le programme « Duel des Écoles » constitue donc la plus grande force de dissuasion que l’État libre de Floride a mise en place afin de réguler les déviances et anticiper les actes de rébellion.
Garde à vous
La journée de Sammy (Kue Kellyn Lawrence) ne peut démarrer le rituel du serment d’allégeance et un enchaînement d’humiliation dans son école qui possède toutes les caractéristiques d’un camp militaire. Le jeune maigrichon de 13 ans sert de punching-ball à ses camarades et fait l’objet de moquerie et d’injustice lorsqu’il est enfin disposé à se défendre. Plongé dans un grande solitude, ce dernier se retranche dans les jeux vidéo et dans la boucle infinie de clips de propagande, sans savoir de quoi ils retournent. Le culte des armes et de la virilité envahit les supports numériques et toutes les formes d’arts qui restent accessibles. Il y a de quoi se rapprocher du portrait sarcastique de Starship Troopers, où la citoyenneté n’est garantie qu’après le service militaire. Nombreux sont ainsi les symptômes d’un régime totalitaire et ultraconservateur en place, où les résidents sont conditionnés à chérir leur drapeau jusqu’à leur mort.
Soucieux de rendre fier sa mère et d’honorer la mémoire de son défunt père, Sammy se laisse peu à peu dévorer par des ambitions patriotiques néfastes pour son avenir. Contre toute attente, sa quête de gloire l’emmène jusque dans la fosse aux lions, dans les jeux qu’organise le gouvernement pour remotiver les troupes et pour dénicher une nouvelle mascotte. Sammy continue alors de fantasmer sur la figure de « roi », celle qui lui accorderait l’immunité dans sa famille ou dans son quotidien, en plus de prendre de véritables galons. Une vingtaine d’adolescents s’affrontent alors dans une arène ouverte et avec des balles réelles. Ce qui constituait un concours pour la notoriété devient alors de la pure survie, à l’instant même où certains individus parviennent enfin à reconnaître le monde incolore dans lequel ils vivent et meurent comme des pions.
Requiem pour un massacre
Cela n’empêche pas le film de surfer sur de l’humour noir qui en dit long sur les intérêts d’une telle loi martiale et d’un tel dispositif. Wiseman en joue de ce décalage, fondé sur des idéologies extrémistes et bien réelles, quitte à lui-même réemployer des techniques de manipulation similaire au média qui diffuse et légitimise la tuerie. Le réalisateur prend soin de montrer les habitants dans leurs tâches quotidiennes, comme tondre la pelouse, tout en dirigeant notre regard sur les armes à feu chargées qu’ils ne quittent pour rien au monde. Telle est la voie du deuxième amendement, qui a déclenché nombre de fusillades dans les établissements scolaires. Le film ne manque pas de citer ces drames, qui peuvent toutefois évoluer vers une forme plus virulente et durable. Telle est la crainte et la mise en garde d’un cinéaste qui partage des traumatismes similaires avec son jeune protagoniste, pieds et poings liés.
Pour un premier long-métrage, le fond comme l’emballage esthétique réussissent à nous plonger dans les travers d’un monde qui cherche plus que tout à éliminer la menace de l’intérieur, des indésirables auxquels nous n’avons pas besoin de nous identifier pour remonter la source du mal. Ainsi, The School Duel fascine dans la manière dont son discours préventif nous tient en joug. Un sujet qui ne manque pas de diviser, alors qu’il braque pertinemment un miroir de vérité sur une nation en proie à ses relents extrémistes.
The School Duel est présenté en Compétition au Festival de Deauville 2024.
Fiche technique
De : Todd Wiseman Jr.
Année : 2024
Durée : 1h30
Avec : Kue Kellyn Lawrence, Christina Brucato, Oscar Nuñez, Clayton Royal Johnson, Eugenie Bondurant, Thomas Philip O’Neill, Jim Kaplan, Kelsey Darragh, Jamad Mays
Nationalité : États-Unis