Prolongement du court-métrage Une sœur qui avait fait grand bruit en 2020 au point d’être sélectionné au Oscars, le premier film de la belge expatriée au Québec Delphine Girard est une réussite. Partant d’une situation originale et intrigante, elle tisse un drame psychologique et féministe qui a beaucoup d’allure. Aussi bien sur le versant formel très appliqué que sur celui de son récit, lent mais hypnotique. Le thème délicat du viol y est traité comme rarement, appuyant avec raison sur les zones grises et les interrogations pour ne pas diaboliser le mâle comme c’est souvent le cas aujourd’hui. En plus, elle dirige ses comédiens avec beaucoup de savoir-faire pour des prestations remarquables.
Synopsis : Une nuit, une femme en danger appelle la police. Anna prend l’appel. Un homme est arrêté. Les semaines passent, la justice cherche des preuves. Les protagonistes font face aux échos de cette nuit qu’ils ne parviennent pas à quitter.
Ce premier film a le don de nous mettre sous tension et dans un climat ultra tendu et anxiogène dès son début. Jugez plutôt : un homme et une femme dans une voiture la nuit. On sent que le climat entre eux n’est pas sain. La femme prétexte un coup de fil à sa sœur. En fait, elle appelle la police et une agent du service d’urgence va lui répondre. Celle-ci va tenter de la secourir sans éveiller les soupçons de l’homme à côté de la jeune femme dans l’habitacle de la voiture. Une situation à la fois originale mais qui pourrait arriver aussi à tout un chacun. À partir de ce postulat tout aussi intrigant qu’oppressant (pour le personnage comme pour le spectateur), Delphine Girard, qui écrit et réalise le film, tisse une histoire captivante sur un hypothétique viol et ses zones d’ombres.
On ne peut que louer la justesse d’écriture de la jeune autrice et nouvelle cinéaste. De cette scène d’introduction implacable à la manière dont elle va la développer ensuite. On n’est pas loin des plus grands thrillers américains sur certains aspects comme des plus beaux drames sociologiques français, ou européens en général, sur d’autres. On suit l’évolution des trois personnages initiaux sur une heure et demie : la présumée victime d’un viol, son présumé violeur et la policière de la centrale qui lui est venu en aide au téléphone. Trois personnes qui n’arrivent pas à se détacher des évènements de la nuit en question. Le rythme est quelque peu lâche parfois. On pourra trouver Quitter la nuit un tantinet plat. Mais c’est aussi ce qui fait qu’il s’imprègne en nous, nous laisse le temps d’assimiler et de digérer les états d’âmes et la psychologie de ces trois personnages en proie à ce qui s’est passé.
Sans être un thriller ou un film policier, Girard a la bonne idée d’insérer dans son montage des flashbacks morcelés de ce qui s’est déroulé. Par là même, on ne saura le fin mot de l’histoire que dans les derniers instants, ce qui permet intelligemment au spectateur de rester dans la subjectivité. Pareillement, et c’est assez rare pour être souligné, on évite tout manichéisme ou jugement hâtif des actes de chacun. Le long-métrage n’excuse rien mais il investit les zones de gris, les nuances et suscite par-là l’introspection de chacun. La morale n’est pas immorale mais elle laisse le choix au spectateur de réfléchir et de juger par lui-même. À ce niveau, Quitter la nuit est puissant dans son déroulé et sa logique.
Le montage alterne les quelques scènes de cette fameuse nuit avec les moments de la vie d’après des trois personnages. Et si le jeu de la flamande Veerle Baetens (Alabama Monroe) est excellent, on ne comprend pas trop l’utilité de ce troisième personnage dans l’équation. Mais la toute fin viendra (un peu) nous contredire. Selma Alaoui est impressionnante en victime qui s’ignorerait presque quand l’inconnu Guillaume Duhesme effraie autant qu’il provoque l’empathie. Quitter la nuit est une œuvre psychologique lourde mais pas pesante, qui prête à réfléchir sur un sujet complexe et le fait avec doigté et brio. Pour un premier film, on peut sans peine dire que c’est un coup de maître. Surtout que Delphine Girard est plutôt douée avec sa caméra et nous gratifie de quelques plans très beaux et inventifs. On attend la suite avec impatience.
Fiche technique : Quitter la nuit
Réalisateur : Delphine Girard.
Scénariste : Delphine Girard.
Production : Versus Production.
Distribution France : Haut et court.
Interprétation : Selma Alaoui, Veerle Baetens, Guillaume Duhesme, Anne Dorval, …
Durée : 1h48.
Genres : Drame psychologique.
20 mars 2024 en salles.
Nationalités : Québec – Belgique.