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Cannes 2023 : Terrestrial Verses, le jugement dernier

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Portrait cocasse mais alarmant des institutions iraniennes, Terrestrial Verses nous invite dans une ronde cynique passionnante, à la force de sketches qui se succèdent avec panache.

Synopsis : Un homme déclare la naissance de son fils. Une mère habille sa fille pour la rentrée. Une élève est convoquée par la directrice. Une jeune femme conteste une contravention. Une jeune fille se présente à un entretien d’embauche. Un jeune homme vient retirer son permis de conduire. Un homme au chômage répond à une annonce. Un réalisateur demande une autorisation de tournage. Une femme cherche à retrouver son chien. Neuf visages de la vie quotidienne à Téhéran.

Le cinéma iranien possède une place confortable dans les festivals internationaux. Si certaines œuvres préfèrent confronter le réel avec les images d’archives (Sept hivers à Téhéran), d’autres préfèrent la subtilité de la fiction. Jafar Panahi (Taxi Téhéran, Le Ballon Blanc, Sang et Or, Trois visages) est probablement le plus honoré à ce jour, mais d’autres cinéastes émergent avec d’autres points de vue, donnant ainsi du sens à la révolution esthétique qu’ils mènent, malgré une production artistique  filtrée, voire censurée, sur leur terre natale. Avec Terrestrial Verses, Asghar Farhadi (Le Client, Un Héros) et Saeed Roustayi (La Loi de Téhéran, Leila et ses frères) consolident l’expression de leur cinéma, qui braque un œil averti sur l’Iran.

Tenus pour peu s’apprécier auparavant, les deux réalisateurs ont mis leur ego de côté pour nous offrir des moments de vie jubilatoires, jusqu’à ce que le sourire quitte notre visage face aux contradictions omniprésentes de leur nation. Alireza Khatami and Ali Asgari constituent une galerie de situations saisissantes, où un homme du quotidien se confronte par exemple à l’absurdité des lois ou de la religion. Dans cette univers, une entrevue banale en plan fixe tourne encore au ridicule. Les différents protagonistes partagent ce ton tragicomique et presque surréaliste. Un père quémande à l’accueil d’un hôpital afin de choisir le nom de son enfant, une écolière confronte sa directrice, un homme tatoué attend de recevoir son permis de conduire, une dame recherche son chien dans un commissariat, un entretien d’embauche tourne au harcèlement, un cinéaste doit continuellement amputer son scénario, etc. Ces démonstrations captent sur le vif le malaise qui empoisonne les institutions, jusque dans leur foi, désormais outil de sélection ou de répression.

Terrestrial Verses dévoile ainsi un pan de vérités sur un pays qui esquive sans cesse ses principes et sa morale. L’impasse est plus qu’évidente pour ce monde qui s’effondre, tandis que le premier plan du film nous rappelle qu’il existe encore bien plus d’incidents à l’extérieur des espaces clos, dans lesquels on navigue à vue. Nous y découvrons la capitale iranienne, brumeuse dès l’aurore et assourdissante en toute circonstance. Klaxons, hurlements et sirènes de polices, tout cela définit le chaos qui règne en ces lieux.  Cette mise en bouche est d’une grande fluidité et le cynisme n’est jamais négocié avec légèreté dans les moments forts. Un spectacle réjouissant pour sa sincérité et une porte d’entrée efficace pour les nouveaux venus dans l’univers des deux cinéastes.

Terrestrial Verses de Ali Asgari, Alireza Khatami est présenté en sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.

Par Ali Asgari, Alireza Khatami
Avec Majid Salehi, Sadaf Asgari, Gohar Kheirandish
Prochainement / Drame
Distributeur : ARP Sélection

Responsable Cinéma