Mon pays imaginaire : Révolution (féministe) au Chili

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Mon pays imaginaire |Copyright Pyramide Distribution
Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2022, le nouveau documentaire du maître chilien Patricio Guzman – Mi pais imaginario – revient sur les récentes révolutions, en faveur de la démocratie, qui ont secoué le Chili en octobre 2019. Brillant et nécessaire.

Filmer la révolution 2.0

Mi pais imaginario aborde un sujet passé à la trappe de nos actualités. Saviez-vous que le Chili a connu, en octobre 2019, une révolution qui a conduit à la modification de sa constitution ? Voire carrément à la suppression de celle-ci, supplantée par une Assemblée Populaire constituée uniquement par des civiles ? Si vous êtes stupéfait.e de l’apprendre, allez vite regarder le documentaire. Si vous étiez déjà au courant, allez le voir quand même (vous y apprendrez sûrement des choses nouvelles).

Tout débute, il y a presque trois ans, lorsque que le gouvernement chilien décide d’augmenter le prix des transports en commun. Cette mesure suscite d’emblée l’indignation du peuple chilien, à commencer par les jeunes. Ce sont eux qui, les premiers, commencent à se révolter. Dans les stations de métro, en montrant ostensiblement, à une police armée menaçante, qu’ils ne payent pas leurs tickets. Dans la rue, en formant des barricades, toujours face à une police armée, qui n’hésite pas à prendre le visage de la mort.

Si nous laissons au réalisateur le soin de revenir dans le détail sur les différentes étapes et autres évènements marquants de cet incroyable soulèvement populaire, nous pouvons, en revanche, évoquer en quelques lignes le soin accordé à la mise en scène. Patricio Guzman fait le choix de n’interroger que des femmes. Qu’elles soient journalistes, photographes, combattantes, autrices féministes, celles-ci ont toutes participé, de près comme de loin, à l’avènement de la révolution la plus importante qu’ait connu le Chili depuis les révoltes étudiantes de 1973. Car, le réalisateur, en bon observateur de la société, est conscient que cette révolution est aussi – et peut-être – avant tout la leur.

Rêver d’un nouveau pays imaginaire (et féministe) 

La révolution qui a secoué le Chili de sa torpeur conservatrice a eu des conséquences multiples. Les affrontements qui ont violemment opposé les jeunes et la police accusent le coup, en révélant à quel point le Chili n’en a pas encore fini avec la dictature armée. La violence inacceptable (et follement absurde) d’une police, par ailleurs, contrôlée par l’armée, a permis de pointer du doigt les dysfonctionnements d’un gouvernement antidémocratique. La simple révolte s’est ainsi mue en indignation générale face aux abus et démonstrations de force d’une armée dirigée par des hommes de pouvoir, qui piétinent allègrement – et en toute impunité – les droits de l’homme.

En levant le voile sur la violence injustifiée et démesurée des répressions policières, la révolution a aussi permis, du même coup, de rappeler une autre violence (moins visible mais tout aussi systématique, voire systémique) : celle que subissent les Chiliennes au quotidien. Au débat social, qui agitait le pays, s’ajoutait et se superposait un autre combat, ouvertement féministe. C’est ainsi que le documentaire de Patricio Guzman opère un virage (pas si étonnant) en retraçant l’émergence d’un nouveau questionnement politico-social mené par et pour les femmes. Ce dernier apparaît global et immense, en portant autant sur la place de la femme dans l’espace public, que sur le concept de culture du viol.

Mi pais imaginario parle d’un pays en pleine mutation. A l’heure où l’on ne cesse de crier à la décadence des sociétés (néo-capitalistes), le bouillonnement populaire et féministe qui agite, en ce moment, le Chili laisse espérer le dépassement de l’adage pessimiste précité. Le réalisateur rend hommage au peuple chilien et, plus particulièrement, à l’ensemble de ces femmes qui subissent les affres d’une politique économique et sociale patriarcale, qui les laisse sur le carreau. Trop souvent oubliées par les récits historiques, celles-ci retrouvent (enfin) la possibilité d’exprimer une parole politique, en reprenant la place de sujets (politiques et ouvertement politisés) qui leur reviennent de droit. Il était temps que les femmes puissent à rêver d’un nouveau pays imaginaire (et féministe).

Le film (Mi paìs imaginario), Mon pays imaginaire de Patricio Guzmán est présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2022.
Distributeur : Pyramide Distribution

Synopsis : Octobre 2019, une révolution inattendue, une explosion sociale. Un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Santiago pour plus de démocratie, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution. Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin.

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