Soirée de clôture: Le palmarès, la projection de « La Vie est belge » / « Brabançonne » et l’interview de son équipe
La dixième et dernière journée du festival fut riche, intense et émouvante. Il s’agissait d’abord de terminer une éprouvante aventure humaine et cinématographique, d’abord en se réunissant tous ensembles une dernière fois avec la soirée de clôture, mais aussi en restant aussi nombreux passionnés et illuminés par les projecteurs afin de combattre les ténèbres qui se sont précipité sur la France vendredi.
De grands discours humanistes ont ainsi été prononcé par des différents intervenants du festival, mais aussi par des cinéastes – on peut penser à Pierre De Clercq – pendant la cérémonie de remise des prix : prix des lycéens (prix Regards jeunes Région Nord-Pas-de-Calais constitué de lycéens en option cinéma), prix de la critique, prix du public et les deux Atlas (bronze, argent) avec les deux mentions spéciales du Jury, et du Jury à un comédien). Il y a eu aussi les deux récompenses des Arras Days dont une de cinq mille euros remise par la ville, et une autre de dix mille par le CNC, pour soutenir des projets prometteurs encore au stade du scénario. Vous pourrez retrouver tout le palmarès sur le site plan sequence.
La Vie est belge (Brabançonne), Vincent Bal, écrit par Pierre De Clercq, avec Arthur Dupont, 2015.
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Ensuite, le public a pu s’émerveiller et s’amuser avec La Vie est belge (Brabançonne) dont la sortie publique devrait être pour le mois de Décembre. L’histoire : deux orchestres belges, l’un wallon, l’autre flamand, se disputent le titre de meilleur orchestre d’Europe. Tout va se corser lorsque Hugues – interprété par le français Arthur Dupond –, s’engage dans l’orchestre rival pour pouvoir faire jouer ses pièces. Sa relation avec son frère, chef d’orchestre wallon, est alors mise à mal, et un amour va naitre entre le jeune homme et la belle flamande Elke, déjà promise en mariage au fils du sponsor de leur orchestre. L’amour réussira-t-il à tous les rassembler ?
Le film de Vincent Bal, écrit par Pierre De Clercq – scénariste du très fort Hasta la vista (Geoffrey Enthoven, 2012) pour lequel il était venu au Arras Film Festival il y a quatre ans – est une véritable comédie musicale. De la romance, des chansons populaires, des musiques originales, de la danse, et beaucoup de couleurs… de Demy à Kelly, de Donen à Wise et son West Side Story (1962), Brabançonne, premier film wallon-flamand du genre, sonne comme un hymne à la comédie musicale, elle-même un genre apologique de l’humain, du mouvement, de l’amour. Aussi on retrouve cette naïveté touchante propre au genre. Le film n’est cependant pas totalement chanté, à l’image de Chantons sous la pluie (Singin’ in the rain, Stanley Donen, 1952), on alterne entre moments parlés et instants chantés. Cependant tel que dans le Sweeney Todd de Tim Burton (sorti en 2008), les transitions entre ces deux séquences tendent à être naturelles, les plus efficaces possibles, c’est-à-dire les plus invisibles possibles. Choix intéressant et qui fonctionne dans la majorité des cas. L’échec des deux ou trois transitions provient, il nous semble, du choix d’une des voix, celle du fiancé d’Elke. Si toutes les voix sont intéressantes musicalement, et investies d’un véritable jeu et d’une émotion, d’une humanité, la sienne paraît un peu hors-jeu, trop contrastée par rapport à la folie et l’humour du film. Elle a d’ailleurs fait rire par dépit, là où des chansons sont bien créées pour créer de l’humour, on pense notamment à celle d’un des membres de la chorale, toujours en panique.
Comme les autres grandes comédies musicales, le film a un certain discours de fond sur notre réalité : le changement du cinéma « muet » au parlant dans Chantons sous la pluie, les gangs et le racisme dans West Side Story, la Belgique et ses confrontations internes entre Wallons et Flamands ici. Le scénariste et le réalisateur du film parlent d’une situation hélas bien existante avec beaucoup d’amusement. Ils s’emparent alors des clichés pour mieux s’en défaire, acceptant certains stéréotypes pour mieux en capturer la vérité essentielle, travaillant la réalité avec cet humour belge fou et absurde – qu’il nous manque tant en France – et la vitalité du genre pour mieux l’affronter, exposer sa bêtise. Et ainsi, ils proposeront presque naïvement une solution d’une grande simplicité et dont rien empêche vraiment la possibilité hormis quelques individus extrémistes des deux côtés : « ensemble », vivre ensemble, s’aimer ensemble, avancer ensemble. Vous imaginez bien que le film a créé véritablement des échos humanistes plus que bienvenus aux tragiques événements qui ont eu lieu vendredi, et qui touchent bien d’autres peuples depuis une bonne quinzaine d’année.
S’il est une comédie musicale formidable, Brabançonne est ainsi un grand film, dont on n’a pas rapporté quelques ersatz de sa grande richesse. On pourrait revenir sur la mise en scène des danses à celle des moments chantés ou plus largement musicaux. Ou encore réfléchir toutes les anecdotes propres à la culture Belge pour en faire une étude sociologique…
Le festival ne pouvait se terminer cinématographiquement aussi bien. Quel brillante clôture du Arras Film Festival tout en contraste à son film d’ouverture –
Le Grand Jeu – qui n’avait pas mérité sa place. Merci à toute l’équipe – très modeste, drôle et plein de génie – du film pour ce merveilleux moment de cinéma. Cette première comédie musicale complètement belge est un coup de force, peut-être pas parfait, mais tellement génial qu’on ne peut que le célébrer, et se féliciter de l’avoir vu.
Revenons maintenant sur l’interview de votre serviteur avec Vincent Bal et Pierre De Clercq.
INTERVIEW – Avec Vincent Bal et Pierre De Clercq pour le film La Vie est Belge (Brabançonne) (Ci-dessous à droite : Arthur Dupont, votre humble serviteur, le réalisateur Vincent Bal et le scénariste Pierre De Clercq).
« La comédie musicale est un genre proprement américain, repris ensuite à travers le monde, notamment par les français… Faire un film de ce genre en Belgique, est-ce c’est une revanche contre les US ? Ou un pur hommage ? »
Ce n’est pas une revanche répond Vincent Bal, mais un hommage aux comédies musicales des années trente, quarante, et cinquante qu’il chérit. Pour son quarantième anniversaire il a d’ailleurs projeté Singin’ in the Rain. Il s’agissait aussi de retrouver cette vivacité propre au genre, qui a tendance à disparaître dans les « musicals très sucrés ».
Il a aussi beaucoup aimé les Chansons d’Amour de Christophe Honoré, ce film l’a beaucoup inspiré, notamment par rapport à l’idée des dialogues chantés. Il voulait aussi raconter une histoire d’amour.
Brabançonne est exactement la première comédie flamande, explique le réalisateur, et la deuxième belge, Chantale Akerman ayant réalisé en 1986 Golden Eighties, comédie-musicale franco-belge.
« On retrouve dans votre film une imagerie à la fois très fluide, et très posée. J’ai eu l’impression de retrouver ce style propre aux comédies musicales des années cinquante, empli de beaucoup de références à Demy, Donen… »
Oui ils l’ont beaucoup inspiré, continue le réalisateur. Il a essayé de faire quelque chose de digne du genre, avec peu d’argent et peu de temps, « trente-trois jours de tournage ». Du côté de Demy, il a beaucoup regardé de films, notamment Les parapluies de Cherbourg qu’il a montré à ses collaborateurs.
Il pense aussi que comme son expérience du film de Demy, celle des dialogues chantés par le public sera quelque chose de choquant, difficile pendant les premières minutes, car ça ne serait pas un postulat évident à accepter : « naturellement, je ne suis pas un grand connaisseur pour le voir mais j’ai adoré Les parapluies de Cherbourg. Les dix premières minutes sont dures pour le voir mais il faut persister – il chantonne rapidement quelques paroles du film – la fin est magnifique. ». Sauf que dans le film tout est chanté, c’est véritablement chez Honoré qu’il a trouvé l’idée de passer du dialogue parlé au chanté naturellement.
« Par rapport à cette idée des dialogues chantés, on peut penser au Sweeney Todd de Burton… Lorsque je l’ai vu à sa sortie, j’étais bien plus jeune, j’étais extrêmement surpris, par choqué, mais surpris au début, car c’était inattendu pour moi, mais les transitions du dialogue parlé à celui chanté étaient très naturelles finalement… »
« Oui, voilà ». Pour que ça fonctionne, il s’agit de mettre en place un accord avec le public, il faut que les gens se mettent en accord avec le film, et ces idées.
« Êtes-vous satisfait des premiers retours ? »
Il est très content des retours, explique-t-il. Les gens semblent amusés et émus, c’est un feel-good-movie sur un sujet sensible – ces problèmes entre wallons et flamands –. Il s’agissait d’ailleurs de faire des allusions, de jeux sur les détails, sur les préjugés belges que chacun a les uns sur les autres. Et il veut que les gens sortent de la salle en chantant, moins amers. Il s’agissait de parler de cette situation belge via les deux orchestres en compétition.
Aussi il est content et très honoré d’avoir été invité au Arras Film Festival, et d’avoir son film comme film de clôture. Il a hâte de voir les lectures des spectateurs qui seront différentes de celles belges, dit-il.
Certains retours « négatifs » du film critiquaient l’idée qu’apparemment, le film aurait été plus gentil avec les wallons et « plus méchant » avec les flamands, explique Vincent Bal. Le film a mieux fonctionné chez les flamands pas habitués à voir des films wallons, dit-il.
« Ne pensez-vous pas que les films belges soient plus funs ? Vous avez cette folie, cet humour qui nous manque tellement en France… »
En effet, il y a une sorte d’absurdité et de folie dans le cinéma belge. Il pense que c’est lié aux images du pays. Notamment à la bande dessinée et au peintre Magritte : « nous sommes tous les enfants de Franquin (auteur de Gaston, créateur du Marsupilami et de Spirou et Fantasio) » dit-il.
À Pierre de Clercq – « Comment avez-vous écrit les dialogues chantés ? »
Il s’est dit qu’il fallait penser les chansons comme dialogues. Ils n’ont repris que des chansons pré-existantes, leurs chansons belges préférées, qu’ils ont réemployées dans un autre contexte, leur donnant une autre signification sans pour autant leur changer un seul mot.
Le réalisateur poursuit en expliquant qu’il avait au début une base iTunes de quatre cents chansons. Revisiter les chansons était intéressant, les changements pouvaient provoquer de purs effets comiques, par exemple en rendant déprimant, en donnant du prozac, à une chanson à l’origine hyper-vive.
Concernant les orchestres du film, il s’agissait de vrais musiciens mêlés à des acteurs. Les solos de Trompette ont été enregistrés à part. Et les enregistrements des compositions orchestrales ont été faite en une journée.
Toujours au scénariste – « D’où vous est venue l’idée de faire une comédie musicale ? »
L’idée vient du réalisateur, explique-t-il. Il a notamment apporté le concept des deux orchestres wallons et flamands qui se « combattent ».
Le scénariste est toujours étonné qu’on vienne le voir pour écrire, aussi ce qui est important pour lui est de raconter des histoires et de rencontrer des gens, tous ces collaborateurs.
À nouveau Monsieur de Clercq – « Et par rapport à votre humour qui nous manque tant en France, où tout est très dramatique, très sérieux, sans folie, est-ce purement belge ou cela vient-il aussi de vous ? »
C’est « un humour de chez nous » et aussi « un humour que j’aime » dit-il, amusé. « C’est belge… Et aussi à moi. ».
Sur le personnage au drapeau belge, qui chante
« Pour la petite blague », ce qui est drôle c’est qu’il chante en français, et « on trouvait ça drôle, qu’il est d’origine marocaine et qu’il est le « plus belge d’entre tous ». »
Le meilleur souvenir de tournage de Vincent Bal
Moins un souvenir précis, plus ce souvenir de l’ambiance du plateau de tournage, sur lequel la musique semblait rassemblait tout le monde.
Un grand merci au réalisateur, au scénariste et à l’acteur pour leur grande sympathie, leur proximité, leur modestie, leur amusement et leur folie bon enfant. Après l’interview nous avons chanté tant bien que mal des airs musicaux, du Parrain à Chantons sous la Pluie, Arthur Dupont s’occupant de l’instrumentalisation avec un petit piano à air. Vous pourrez retrouver deux vidéos captées sur l’instant ici :
Avant de conclure sur ce formidable festival, je me dois de dire à quel point les personnes du festival ont été accueillants, chaleureux, et professionnels, malgré les problèmes rencontrés : du simple retard, aux tragiques événements survenus vendredi soir. Je pense notamment à Cathy Gervois et Hélène Debreyne (voir la photographie ci-à droite, la première à droite, la deuxième à gauche) qui ont été véritablement géniaux. J’ai même pu obtenir l’affiche d’un film important à mes yeux et dont je vous ai parlé dans le texte introductif : Shadow Dancer. Félicitations et merci à l’équipe de Plan-Séquence, à tous les bénévoles, à Nadia Paschetto et Éric Miot, et bien sûr aux spectateurs passionnés, aux cinéphiles et aux curieux, pour avoir fait de cette édition 2015 une formidable expérience. À l’année prochaine.