Le clap de fin de l’Arras Film Festival a toujours le goût d’une mise en bière. On tombe le rideau en fête et en famille élargie sur 10 jours de curseurs poussés à leur incandescence. De nuits sans (beaucoup) de sommeil, de journées à ne pas voir le jour, de projections d’après interview d’après projections. Plus c’est long, plus c’est bon, plus l’estomac se creuse et la faim grandit. De l’autre, de la vie, et du cinéma, tout ça en même temps et sans avoir à choisir. Bref, une certaine idée du bonheur.
On l’avait écrit au premier jour, mais cette 24ème édition de l’AFF démarrait dans la morosité endeuillée qui règne depuis l’attentat qui frappa le lycée Gambetta le 13 octobre. Ça, ajouté à une météo atteinte d’une dysenterie diluvienne à faire passer Seven pour Les Bronzés, l’humeur générale était plus au Netflix and chill sous plaid les volets fermés. Mais comme l’a très bien dit le sage, « Le soleil, c’est dans la tête que ça se passe ». Et sur les grands écrans.
Parce qu’il y en a eu, du cinéma au cinéma durant cette édition. Du français, du bulgare, du slovaque, du polonais, national et international. Du jeune et du vieux, du live et de l’animé, des gifles qui marquent et des visages qui restent. Celui de l’actrice Éli Skorcheva dans Blaga’s Lesson de Stéphane Kondarev, et son plan final qui t’éclate la pupille et te griffe la conscience comme un Friedkin ou un Fincher. L’aller-retour de Vincent Pérez dans la mâchoire de Ridley Scott avec son Affaire d’Honneur qui envoie le Dernier Duel manger les acariens. Les bons mots de Chasse gardée et ses guinguettes à faire démarrer une chenille entre le siège de la salle. Le bœuf intercellule des taulards corses qui reprennent Julien Clerc dans la langue de Napoléon pour chanter la matonne Hafsia Herzi dans Borgo de Stéphane Demoustier. Wake Me de Marko Santic, et son réveil à la matraque. Laure Calamy qui s’ouvre la voix et les chakras sur du Booba dans Iris et les hommes de Caroline Vignal. Robert Guédigian, et son cinéma fatigué mais au cœur vaillant qui trinque au combat perpétuel dans Et la fête continue…. On en passe et des meilleurs, pardon pour les absents. On fera en sorte de leur rendre justice ultérieurement.
Comme nous l’a dit la grande Agnieszka Hollande, à l’occasion de son Green Border qui vise le plexus en ligne presque droite : « Le cinéma n’est pas qu’un divertissement, c’est aussi une expérience ». C’est ce qu’on retiendra de cette 24èmeédition de l’Arras Film Festival : des films qui n’ont pas peur de secouer le spectateur et de lui coller un taquet derrière la nuque. Pas pour l’accabler où l’écraser sous le poids de la vie cette pute, mais au contraire pour lui faire RESSENTIR. Les choses, le monde, la présence de l’autre. Le mouvement des plaques tectoniques sous les pieds d’une planète qui change, parfois pour le pire mais surtout pour viser le meilleur. Le gout du combat devant et derrière la caméra, joyeux, vibrant et nécessaire. « La vie n’a de sens que dans la lutte. Le triomphe ou la défaite est entre les mains des Dieux. Alors célébrons la lutte ». « Ensemble », se permettra t-on d’ajouter à Stevie Wonder, et au proverbe Swahili qui ouvrait le Lorenzo de George Miller. C’est la leçon que l’on retiendra de cette édition 2023 l’Arras Film Festival : l’important c’est de se battre. Toujours tout le temps, sans discontinuer, le poing levé et en chantant à tue-tête. Dans la vie, comme au cinéma.