Folklore
Dès les premières images, Alexandre Korda (le cinéaste hongrois qui a réalisé le film) impose une image très folklorique et idéalisée, quasiment fantasmée, de Marseille. Son Vieux Port, ses voiliers, ses marins (dont Escartefigue, seul marin à avoir le mal de mer), l’accent, le parler haut et le sang latin typique du Sud nous parviennent comme des cartes postales. En quelques minutes, le spectateur se sent comme chez lui auprès de ces personnages qu’il a l’impression d’avoir toujours connu.
Ainsi, nos personnages ont parfois l’habitude d’exagérer les choses. Les disputes commencent vite, comme celle qui oppose Marius et Panisse. La sieste est une activité quasiment obligatoire dans ce monde où le travail se fait de façon très parcimonieuse. Comme le dit César au début du film : « il ne passait jamais au soleil, de peur d’avoir à traîner son ombre. »
Pudeur
Les dialogues, écrits par Marcel Pagnol d’après sa propre pièce, sont d’une qualité extraordinaire. Les répliques cultes s’enchaînent. Et pourtant, c’est souvent dans les non-dits que le film trouve sa plus grande qualité.
En effet, bien souvent, les personnages n’osent pas avouer ce qu’ils ressentent véritablement. Marius n’avoue pas son amour pour Fanny. Quand il sort la rejoindre, il prétend aller au cinéma. De même, César invente toute une histoire pour justifier qu’il se mette sur son 31.
Mais le plus émouvant, le plus beau, c’est l’amour qui unit le père et le fils. Quand César dit « Bonsoir mon fils », paroles proférées avec un amour sincère par un vieux bourru haut en couleurs, il n’est pas besoin de grands discours pour expliquer les sentiments qui s’échangent entre les deux personnages. Un plan sur le regard humide de Marius qui ne dit pas qu’il va partir, un aveu muet suffisent pour implanter une émotion palpable.
Mélodrame
Car Marius est un film très émouvant. C’est même un mélodrame. S’il fallait une preuve, il y a les dernières séquences. Le final, lorsque César fait visiter à Fanny ce qui devrait être leur foyer conjugal, est empreint de toute l’infinie tristesse d’un départ qui est comme un deuil.
Mais le mélodrame est d’autant plus beau qu’il n’est pas appuyé. Pas de pathos ici. Aucune exagération dans la manifestation des sentiments. Pagnol et Korda évitent les pièges habituels du genre. Bien au contraire, à l’instar d’un César qui prépare un cocktail parfaitement dosé (avec quatre tiers, certes, mais « ça dépend de la grosseur des tiers »), les auteurs du film parviennent à magnifiquement doser humour et drame pour que chacun alimente l’autre.
Ainsi, la scène où Panisse explique la mort de son épouse est un bel exemple de cette symbiose parfaite entre comédie et mélodrame.
Korda et Pagnol
En parlant de ce film, première partie de la fameuse trilogie marseillaise, on a l’habitude de dire que c’est une œuvre de Marcel Pagnol. Techniquement, le film est réalisé par Alexandre Korda, cinéaste hongrois. Sa réalisation est d’ailleurs d’une grande subtilité. À l’image du scénario, lui aussi évite d’en faire trop et joue la carte de la subtilité et de la pudeur. Cependant, la qualité de sa réalisation s’impose vite. Il suffit de voir la scène où Marius rejoint des marins dans une taverne, les ombres projetées sur les murs, l’ambiance quasi-expressionniste imposée en quelques images, pour comprendre que le réalisateur est talentueux.
Mais le véritable auteur du film reste Marcel Pagnol lui-même. Marius est empreint de son style, qui se retrouvera dans ses réalisations futures. La qualité extraordinaire des dialogues font d’ailleurs de Marius une référence : alors que le cinéma n’était parlant que depuis quatre ans, le film s’impose comme celui qui va ouvrir la voie des grands dialoguistes à la française, inspirant la carrière future des Audiard (père et fils), Aurenche et Bosc, etc.
Synopsis : sur le Vieux Port de Marseille, le jeune Marius est tiraillé entre son amour pour Fanny et son rêve de devenir marin.
Marius nous apparaît, de nos jours, comme un monument du cinéma français. Certaines de ses répliques sont passées à la postérité. Ses acteurs sont des références.
Fiche Technique – Marius
Réalisateur : Alexandre Korda
Scénariste : Marcel Pagnol, d’après sa pièce de théâtre
Photographie : Ted Pahle
Décors : Alfred Junge et Vincent Korda
Montage : Roger Spiri-Mercanton
Musique : Francis Gromon
Producteurs : Robert Kane et Marcel Pagnol
Avec Pierre Fresnay (Marius), Orane Demazis (Fanny), Raimu (César), Fernand Charpin (Panisse), Paul Dullac (Escartefigue), Alida Rouffe (Honorine, la mère de Fanny), Robert Vattier (Monsieur Brun).
Sortie : 10 octobre 1931
Durée : 120’