Cannes Classics : Le Troisième Homme – Critique du film

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La première impression que l’on a du film, Le Troisième Homme, c’est sa musique, signée Anton Karas, un air entêtant joué à la cithare et qui reste en mémoire pendant longtemps. Cet air va accompagner une histoire désabusée, cynique et qui refuse toutes les facilités habituelles du genre.

Synopsis: le romancier Holly Martins arrive à Vienne pour rejoindre son ami Harry Lime. Il apprend vite que celui-ci a été tué, officiellement dans un accident de la circulation.

Vienne et les égouts de Babel
Quel meilleur choix que la ville de Vienne pour détruire tout romantisme. Le film se déroule à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la capitale autrichienne subit le même sort que Berlin : elle est divisée en quatre zones (américaine, anglaise, française et russe). Une scène, à la fin du film, nous montre un personnage pourchassé par les différentes polices dans les égouts. Des ordres de langues différentes sont hurlés de chaque côté et les égouts se transforment en une sorte de Babel paradoxale (paradoxale parce que, au lieu de s’élever vers le ciel, elle s’enfoncerait sous terre). À travers les ruines de la ville, l’incompréhension est de rigueur, et notre brave Holly Martins (Joseph Cotten) en est la première victime. Il ne comprend pas un mot d’allemand, ce qui renforce encore son sentiment d’être perdu. Ainsi, dans une fort belle scène, il est accusé par une foule mais, comme il ne comprend rien à ce qui se dit, il reste au milieu et ne réagit pas.

Holly Martins, anti-héros
Il faut dire que Martins ne comprend pas grand-chose. Rarement personnage principal aura autant été un anti-héros (il faut dire que le film se démarque par son absence complète de figure héroïque). Écrivain raté et sans le sou, il se laisse constamment porter par les événements et ne contrôle absolument rien. Le rythme, qui connaît parfois des accélérations, et le montage ne cessent de nous présenter Martins comme un personnage qui perd pied, comme dans ce taxi qu’il prend en espérant pouvoir aller à la police et qui l’emmène à un congrès d’écrivain, bien contre sa volonté.
Martins est toujours là où il ne faut pas et, quand, par le plus grand des hasards, il se trouve au bon endroit, alors il ne parvient pas à comprendre ce qui arrive. Pendant une fusillade, il se place sur la trajectoire des balles. Il cause indirectement la mort d’un policier. Il tombe, ou se fait presque renverser par une voiture, etc.
Même comme écrivain, il est pitoyable. Il ne parvient pas à lire le texte d’une pièce de théâtre, il ruine complètement un congrès d’écrivain par son absence de charisme et la nullité de ses réponses, il ne sait même pas qui est James Joyce…

Harry Lime et le cynisme
À l’opposé de Martins, il y a cet Harry Lime qui est au cœur du film. En effet, plus on enquête sur sa mort, plus on découvre le personnage. Un héros pour Anna, dont il était l’amant et qu’il aide à rester illégalement à Vienne, ou un criminel pour la police, il semble en tout cas quelqu’un qui réussit tout ce qu’il entreprend. Y compris dans le trafic.
Parce que Vienne partage avec Babel une autre particularité : elle est devenue la capitale du marché noir. Dans ce monde en ruines où il est quasiment impossible de se procurer de quoi vivre, la combine est devenue un art de vivre. Et plusieurs personnages insistent sur le thème : « j’ai fait des choses qui auraient semblé inconcevables avant-guerre » dit l’un ; « ce n’est guère avouable mais il faut parfois enfreindre la loi » affirme un autre. Et voilà notre Troisième Homme qui décrit un monde où la fin justifie les moyens. Un monde cynique et qui ne cache plus son cynisme.

Orson Welles et Carol Reed
Sur un scénario du romancier Graham Greene et d’Alexandre Korda, le film est remarquable à de nombreux points de vue. Sa réalisation fait de Vienne un monde baroque inquiétant. Ombres gigantesques, cadrages obliques : l’aspect visuel est très travaillé et fait penser à l’expressionnisme allemand. Certains plans peuvent même se lire comme des références directes à M. le Maudit de Fritz Lang (le vendeur de ballons, par exemple).
Mais l’influence la plus forte est incontestablement celle d’Orson Welles. Même si, officiellement, il n’est qu’acteur du film, il semblerait qu’il ait participé à l’écriture du scénario et au tournage de certaines scènes. Quoi qu’il en soit, le film porte sa marque, aussi bien sous l’aspect visuel que par son histoire, cette enquête sur une impossible vérité qui paraît insaisissable (comme dans Mr. Arkadin, par exemple).
Le Troisième Homme est un grand film, complexe dans sa construction, maîtrisé, doté de grandes qualités visuelles et d’un casting exceptionnel. Et s’il paraît parfois un peu maladroit, c’est pour mieux coller à son personnage principal.

Le Troisième homme : Bande-annonce

Fiche technique – Le Troisième Homme

Titre original The Third Man
Date de sortie : 31 août 1949
Nationalité : Royaume Uni
Réalisation : Carol Reed
Scénario : Graham Greene, Alexandre Korda
Interprétation : Joseph Cotten (Holly Martins), Alida Valli (Anna), Trevor Howard (Calloway), Bernard Lee (Paine), Orson Welles
Musique : Anton Karas
Photographie : Robert Krasker
Décors : Dario Simoni
Montage : Oswald Hafenrichter
Production : Carol Reed, Alexander Korda, David O. Selznick
Société de production : London Film Productions
Société de distribution : British Lion Film Corporation
Budget : NR
Genre : thriller, espionnage
Durée : 104’