Cycle HBO : « The Corner », la défaite de la politique américaine

Lorsque l’on parle de série TV, il y a un avant et un après The Wire (2002-2008). La série de David Simon est souvent considérée comme un incontournable, un indispensable. Référence culturelle, bijou sociologique, modèle d’écriture, The Wire est ce qu’on peut considérer, à juste titre, comme un chef d’œuvre. Pour comprendre The Wire il est nécessaire de remonter aux origines, aux sources d’une telle réussite. Cet avant se nomme The Corner.

Mini-série de six épisodes sortie sur HBO en 2000, The Corner de David Simon et David Mills est adapté et inspiré de l’ouvrage The Corner – Enquête sur un marché de la drogue à ciel ouvert, une enquête réalisée par David Simon en personne et Ed Burns, autour de la ville de Baltimore et de ses quartiers gangrenés par les trafics. Pour les amoureux du travail de David Simon, cette série est un orfèvre.

TRUE STORY

« Cette série raconte l’histoire vraie d’hommes et de femmes et d’enfants pris dans la tourmente du trafic de drogue. Leurs voix se font trop rarement entendre. » Charles S. Dutton

Le plus frappant dans The Corner, lorsqu’on la regarde en miroir de The Wire, c’est la matière documentaire très brute qui s’impose. La série ne s’y trompe d’ailleurs pas. Dès l’entame, l’acteur-réalisateur Charles S. Dutton, nous raconte face caméra qu’il est venu filmer les coins de rue de son enfance, ici à Baltimore. Et que ce « Corner » (coin de rue en anglais) cristallise l’essence de la vie de ces quartiers. C’est un lieu de vie et de mort. Un coin comme source d’informations, trafic de drogues et tombeaux. En trente ans, le Maryland, État américain où se situe Baltimore, a vu le nombre de ses prisons passer de 5 à 28, et ces corner n’ont pas disparu pour autant. Les États-Unis ont préféré la répression à la prévention. Ils en payent les pots cassés.

The Corner c’est l’histoire universelle de comment les politiques et les sociétés ont abandonné un combat sanitaire et social majeur sous l’autel du libéralisme à travers le poignant des témoignages humains.

Parce que The Corner est construit sur des témoignages, sur des vies brisées, des destins sombres. Ceux de la vie quotidienne des habitants de La Fayette Street à Baltimore et plus particulièrement celle de la famille McCullough, Fran et Gary, parents séparés et toxicomanes ainsi que leur fils de quinze ans DeAndre. David Simon et David Mills vont puiser dans la narration la véracité de ses moments sur du matériel documentaire brut et brutal.

Pourtant, et c’est ce qui rend cette série passionnante, nous sommes faces à une reconstitution fictive où le moindre détail transpire un réalisme troublant et une vérité saisissante et effrayante. La mise en scène ne s’y trompe pas non plus. Le cadre est vivant, la caméra à hauteur d’homme. Elle capte les langages, les démarches, les codes et les corps avec beaucoup de savoir-faire. Elle saisit la misère humaine, les ravages de la drogue, l’inaction politique, avec très peu d’espoir mais avec une rage communicative. Les auteurs ne sont pas là pour faire de la sociologie en recul mais pour aller chercher des émotions propres au cinéma. C’est ce que The Wire poursuivra et intensifiera de manière magistrale en y ajoutant un volet romanesque magnifique. En attendant de découvrir la troisième saison de The Deuce du même David Simon, vous pouvez plonger ou replonger dans ces deux monuments télévisuels de HBO, plus que brillants : indispensables.

The Corner : Extrait

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