À bras ouverts, un film de Philippe de Chauveron : critique

Même en faisant abstraction de toute polémique, il est difficile de voir dans À bras ouverts autre chose qu’une blague mal écrite étirée trop longtemps par pur crétinisme. Et puisque la vulgarité est de mise, joutons à armes égales tout en gardant, moralement, nos élégances…

Synopsis: Jean-Étienne Fougerole est un intellectuel bobo qui sort son nouveau roman intitulé À bras ouverts et qui appelle les personnes les plus aisées à accueillir chez elles les familles dans le besoin. Alors qu’il fait la promotion de son livre lors d’un débat télévisé, son opposant lui reproche de ne pas appliquer ce que lui-même préconise. Alors coincé, Jean-Étienne Fougerole accepte le défi, de peur d’être décrédibilisé. Le soir-même, une famille de Roms sonne à la porte de sa villa de Marnes-la-Coquette et l’écrivain se sent obligé de les héberger.

Il y a au cinéma un plaisir rare mais pourtant réel, celui de voir un cinéaste apprendre de ses erreurs, écouter les critiques, progresser et affiner son écriture. Philippe de Chauveron semble néanmoins s’inscrire dans l’autre camp : celui des réalisateurs auto-satisfaits qui ne s’embarrassent pas vraiment de concepts aussi superflus qu’une cohérence dans la mise en scène ou d’un scénario avec du fond. Les tensions entre groupes ethniques étaient la base de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu, grand succès de l’année 2014, ce sera donc la même recette pour À bras ouverts. Mais là où le premier avait la décence de tirer sur tout le monde et de n’être coupable que de maladresses dans l’écriture de ses personnages, définis uniquement par leur type ethnique, le second enfonce bien fort la porte ouverte du mépris décomplexé. À bras ouvert est un film raciste ? Si ce n’était que ça.

Dans une salle presque vide (mettons cela sur le compte des séances du vendredi matin) où aucun rire ne fuse, on se prend à rêver à ce que le film aurait pu être. Sous la férule d’un vrai cinéaste, on aurait eu le match retour de la philosophie de BHL contre le cinéma de Kusturica, culminant au cœur d’une partouze de super-héros organisée par la jeunesse dorée parisienne… Et ça aurait eu de la gueule. Mais le cinéma français étant le royaume des promesses non tenues et de la comédie médiocre, on se ramasse une mascarade de bric et de broc avec Clavier en philosophe socialope (pour reprendre le jargon d’un public qui jubilera sûrement devant la caricature) et Ary Abittan en rom macho et crétin. Malgré toute notre bonne volonté, il est vraiment difficile de voir autre chose qu’une saloperie de navet qui ne fait rire que ceux qui l’ont écrit, car ce que les frères Chauveron (ici scénaristes) semblent avoir du mal à se rentrer dans le crâne, c’est qu’une accumulation de vannes de beaufs bourrés balancées habituellement en réunions de famille ne fait pas un scénario de comédie.

Présenter les roms comme des déchets humains se complaisant d’une vie de mendicité et de vol ce n’est pas de l’humour, c’est de la caractérisation basse du front. Bavik et sa famille se serons jamais autre chose qu’une tribu de gentils crétins sans éducation poussés par leurs instincts primaires. On touche un sacré fond quand le fils Fougerolle propose de donner des cours à la fille rom et lui apprend non pas les mathématiques et le français mais la fonction d’un stylo ou d’une feuille de papier (subtil)… Idem de l’autre côté du manche, avec ce couple gauche caviar qui passe son temps à dire une chose et son contraire en des laps de temps records. Comptez environ une dizaine de secondes entre l’évocation d’une philosophie humaniste par un personnage et la contre-réponse petite bourgeoise matérialiste qui suivra. Jean-Etienne accepte de laisser rentrer les invités pour utiliser les toilettes, Daphné lui suggère aussitôt de cacher les objets de valeurs pour « ne pas les inciter (sic) ». La déconstruction méticuleuse des cercles sociaux, encore une donnée superflue manifestement. En bonus nous avons même droit au marseillais feignant, au majordome indien content de sa position d’infériorité et au jeune réac homosexuel. Trois personnages inutiles à l’intrigue mais sensés nous prouver l’ouverture d’esprit d’un réalisateur qui « ose » se moquer de tout le monde, sauf de lui-même apparemment (alors qu’il y aurait de quoi).

Rapide leçon d’écriture : dans une comédie, il est important que les personnages dépassent leur stade d’exposition. Par exemple le personnage de Bavik aurait pu être réussi s’il se révélait au milieu du film plus malin que prévu, voulant piéger l’humaniste à son propre jeu pour le mettre face à ses contradictions en jouant à fond sur le cliché du rom. Où encore si les deux antagonistes mettaient de côté leurs différents pour piéger un système qui les dépassent. Une idée effleurée en fin de film quand Bavik annonce qu’il va écrire un livre sur cette « formidable » histoire et demande à son hôte d’en écrire la préface. Dans les deux cas nous serions restés du côté de la mascarade tout en touchant au plus près cette idéal de farce caustique dont Chauveron se vante d’être l’héritier. Les personnages auraient gagné en grandeur et en profondeur, le verni social se serait fissuré, les clichés auraient été retournés… Bref on aurait eu une œuvre comique de bonne tenue.

Mais prenons le réalisateur au mot, l’Art, dans toutes ses formes est sûrement un passe-temps de raclure cosmopolite. Pour prendre acte de son idée sur la question il suffit de voir l’image qu’il donne de l’art contemporain, avec l’épouse Fougerolle (Elsa Zylberstein) qui empile des ordures pour faire des sculptures. Certes la blague est vieille, les inconnus l’avaient déjà faite dans Les trois frères en confondant une installation avec un porte manteau. Comme pour les roms ou la gauche caviar, il n’est pas interdit de se moquer de l’art contemporain. Mais dans ces trois cas, la méconnaissance profonde du sujet pousse les scénaristes vers des absurdités qui ne démontrent qu’un mépris de plus pour une autre tranche de la population. Ainsi l’artiste présente son œuvre comme inspiré d’un Monumenta d’Ai Weiwei (d’abord appelé « le chinois » parce que quand on n’a pas de race chez les Chauveron on n’existe pas), sachant que le fameux « chinois » n’a jamais participé à l’exposition Monumenta du Grand Palais. Et si le cerveau n’aura pas fini de couler par vos oreilles d’ici là, vous pourrez peut-être entendre cette même artiste qualifier une seule tête sculptée de « triptyque » ou demander à l’un des personnages de poser pour elle parce qu’il a un torse musclé.

Heureusement que Philippe de Chauveron est là pour nous rappeler que l’Art est une occupation de bourgeoise frustrée, et au passage nous étaler au travers du personnage tout son sexisme refoulé. Cette « innocente » moquerie sur le monde artistique ne semble être là que pour détourner l’attention de ce problème plus grave. A l’instar de Bavik, occasionnellement gardien au Louvre, qui interdit de « toucher le cul des statues (sic) » (car un nu en marbre n’est qu’un cul qui s’ignore manifestement), le réalisateur ne semble voir dans ses figures féminines que des morceaux de chair en attente d’être pénétrés. Elles sont soit figurantes, ou trop moches donc forcément intouchables, soit objets de désir ou de séduction. Donc la fille rom n’aura qu’une fonction, être dépucelée par le fils Fougerolle, la mère de ce dernier atteindra son apogée narrative en se jetant dans les bras du prétendant (qui ne la désire que pour son corps et son argent) pour se venger de son mari qui a cédé aux avances d’une étudiante (parce que Christian Clavier est le fantasme de toute étudiante en philo qui se respecte, c’est bien connu !). Sans compter que le pendant « négatif » et hypocrite de la gauche caviar vient systématiquement de la bouche de Madame, Monsieur Fougerolle étant plus angoissé de passer pour un faux jeton. Les accusations de racisme à l’encontre du film auront eu cet avantage pour De Chauveron, occulter cette autre dimension de son « cinéma » tout aussi nauséabonde.

Qualifier À bras ouverts de film ou Philippe de Chauveron de cinéaste, c’est finalement faire trop d’honneur à un objet qui pratique l’autosatisfaction de sa propre stupidité à des niveaux stratosphériques en s’asseyant sur la modique somme de 17 millions d’euros (pour une majorité du film en huis clos c’est pas banal !). Et se cacher derrière le grand débat entre culture populaire et culture savante ne changera rien, car comme disait un homme qui savait manier la caricature et la vulgarité : « Quand on est con… ».

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À bras ouverts : Bande Annonce

https://www.youtube.com/watch?v=G1xUWyh1-mk

À bras ouverts : Fiche technique

Réalisateur : Phillipe de Chauveron
Scénario : Marc de Chauveron, Guy Laurent
Interprétation : Christian Clavier, Ary Abittan, Elza Zylberstein…
Musique : Cecile Coutelier
Producteurs : Christian Clavier, Patrice Ledoux, Adrian Politowski
Budget: 17,5 millions d’euros
Distribution : SND
Durée : 92 min
Genre : comédie pas drôle
Date de sortie : 5 avril 2017

France – 2017

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Redacteur LeMagduCiné