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© 20th Century Fox | Daniel Day-Lewis | Le Dernier des Mohicans

Le Dernier des Mohicans : l’effacement d’une nation

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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Retour sur un film d’époque et d’aventures comme on n’en fera sans doute plus jamais à Hollywood. 22 ans plus tard, il nous est permis de (re)découvrir en salle cette pierre angulaire de la filmographie de Michael Mann, portée par la vivacité de Daniel Day-Lewis et une bande originale qui trouve encore la force de nous émouvoir. Le Dernier des Mohicans constitue ainsi une offrande archéologique sur les notions d’identité, d’indépendance et de liberté étasunienne. Une épopée qui établit un constat déchirant d’une culture autochtone en voie d’extinction et qui honore la nature sauvage à chaque séquence.

Synopsis : 1757. Troisième année de guerre entre la France et l’Angleterre. Trois hommes. Les derniers d’un peuple en extinction, à la frontière de l’Hudson.

Le film culte de Michael Mann s’affirme à la fois comme une adaptation du livre éponyme de James Fenimore Cooper (1826) et du scénario de Philip Dunne dans la captation filmique de 1936, réalisée par George B. Seitz. Il laisse cependant la complexité historique de la société géorgienne et les intrigues géopolitiques du livre de côté, là où Stanley Kubrick en fait un point central dans Barry Lyndon. Reste que la guerre de la Conquête constitue une toile de fond idéale afin de poser une réflexion sur l’extinction des peuples indigènes, et à mi-chemin de la contemplation selon Terrence Malick (Le Nouveau Monde). Cette huitième adaptation cinématographique du Dernier des Mohicans est tout de même rigoureusement documentée, mais surtout brillamment co-écrite par Mann et Christopher Crowe, apportant ainsi une approche contemporaine sans pour autant en faire un décalque de notre société actuelle. Le film regorge ainsi de plusieurs niveaux de lecture qui se révèlent peu à peu à chaque visionnage.

Trônant au panthéon du cinéma néoclassique hollywoodien aux côtés de Steven Spielberg, Brian de Palma, Francis Ford Coppola, David Fincher ou encore James Gray, Mann s’est rapidement affirmé comme un indispensable narrateur au style visuel bien identifié. Connu pour atteindre un niveau de naturalisme bluffant à travers le mouvement du cadre et dans le cadre, le cinéaste confirme dès l’ouverture de son film une habileté à nous immerger dans le quotidien des protagonistes. Nous avons ici un Daniel Day-Lewis au sommet de sa forme physique, dont on distingue à peine la silhouette à travers la forêt, chassant le daim. On le surnomme Œil-de-Faucon, Bas-de-Cuir ou encore Longue Carabine suivant les versions, mais son nom de naissance reste Nathanael. Orphelin d’une famille de colons massacrés, il fut recueilli par Chingachgook (Russell Means) et son fils de sang Uncas (Eric Schweig), les deux derniers représentants de la tribu Mohican originaire de la vallée de l’Hudson. La dualité et l’ambivalence sont alors les clés de compréhension de la tragédie dépeinte. Un jeu de miroirs et de dédoublement constant, que ce soit entre les deux racines du héros ou simplement entre Œil-de-Faucon et Magua, qui se complètent et s’opposent à la fois. Cet élément est central au cinéma de Michael Mann, notamment avec un voleur et un caïd dans Le Solitaire, un flic et un criminel dans Manhunter, Heat (remake de son propre téléfilm L.A Takedown), Public Enemies, ou encore un chauffeur de taxi et un tueur à gage dans Collatéral.

Histoire d’une retraite

Pourtant, malgré de nombreuses qualités qui le destinent à servir dans la guerre, le mohican par adoption préfère la diplomatie à la violence et la médiation à la confusion. Héros romantique, dont la précision au tir et l’humilité font d’Œil-de-Faucon un guerrier respectable, il sert à nuancer les rapports de force entre les « camps ». Les Mohicans soutiennent les colonies anglaises tandis que les Hurons, menés par Magua (Wes Studi), optent pour une alliance avec le Royaume de France pour obtenir des scalps anglais. Mais les enjeux du conflit colonial sont trop grands pour être contestés, c’est pourquoi Mann préfère mettre l’accent sur les relations humaines pour témoigner d’une impasse. Il s’agit d’une histoire d’amour et de liberté prise dans l’étau de la guerre de Sept Ans. Lorsque Cora (Madeleine Stowe), une femme pensant avoir accosté en Nouvelle-Angleterre, ouvrit enfin les yeux sur la déshumanisation de ses compatriotes, ne répondant plus à toutes les exigences de la Couronne britannique, à l’instar du Colonel Munro (Maurice Roëves), c’est le drame. Ni elle, ni sa sœur Alice (Jodhi May) ne peuvent changer la donne. Seule compte la survie sur les terres ravagées par les canons et empoisonnées par le sang de celles et ceux qui ont espéré y faire fortune ou gagner leur indépendance.

Malgré ce constat alarmant, les personnages courent sans cesse pour subsister et pour s’aimer autant qu’ils le peuvent. Une manière d’évoquer l’urgence et de faire grimper la tension dramatique avec efficacité. D’autre part, c’est aussi un processus qui valorise la nature. Une course-poursuite sur l’eau en synthétise notamment toute la densité et le côté impitoyable et indomptable. Le film continue ainsi de marquer les esprits grâce à la mise en scène mélodramatique impeccable et un accompagnement musical saisissant. Toujours dans le bon timing, toujours avec une énergie renouvelée et toujours avec une émotion nouvelle, la partition de Trevor Jones, dont les travaux ont été enrichi par Randy Edelman, nous hante comme la conclusion douce-amère de l’intrigue. En opposition à la scène d’ouverture, où les personnages sont constamment en mouvement à travers le massif montagneux de Chimney Rock, le film conclut sur des plans statiques. Le soleil se couche avec un discours prophétique, testamentaire et mélancolique : « La frontière se déplace avec le soleil et pousse le Peau-rouge de ces forêts sauvages devant elle, jusqu’à ce qu’un jour il n’y ait plus nulle part où aller » (uniquement dans la Director’s Cut). Un préambule bouleversant de tous les récits contés par John Ford et tant d’autres sur le mythe de la frontière et, a fortiori, sur la conquête de l’Ouest à venir.

Les dés sont jetés et seule la nature restera témoin des bouleversements exposés dans l’intrigue, d’une richesse visuelle et sensorielle inouïes. Mais que raconte finalement Le Dernier des Mohicans, aussi bien dans le livre que dans ses adaptations ? Il raconte la tragique transformation du Mohican en pionnier, d’une nation née dans la destruction de la nature et le mensonge, où le métissage de sangs et des cultures s’est développé en parallèle de génocides. Un message puissant qui résonne au-delà des frontières et des époques. Un geste que Michael Mann sublime pour sa fresque romanesque et son implacable reconstitution, un geste qui brosse le portrait de l’humanité dans toute ses contradictions, sa bestialité et son caractère éphémère. Une merveille !

Le Dernier des Mohicans – Bande-annonce

Le Dernier des Mohicans – Fiche technique

Titre original : The Last of the Mohicans
Réalisation : Michael Mann
Scénario : Michael Mann, Christopher Crowe (adapté du roman éponyme de James Fenimore Cooper, 1826)
Interprètes : Daniel Day-Lewis, Madeleine Stowe, Jodhi May, Steven Waddington, Eric Schweig, Russell Means
Directeur de la photographie : Dante Spinotti
Décors : Wolf Kroeger
Costumes : Elsa Zamparelli
Montage : Dov Hoenig, Arthur Schmidt
Musique : Trevor Jones, Randy Edelman
Producteurs : Michael Mann, Hunt Lowry
Producteur délégué : James G. Robinson
Production : 20th Century Fox, Morgan Creek Productions
Pays de production : États-Unis
Distribution France (ressortie) : Splendor Films
Durée : 1h52 (1h57 dans la version director’s cut)
Genre : Action, Aventure, Romance, Guerre
Date de sortie : 26 août 1992
Date de ressortie : 25 décembre 2024

Responsable Cinéma