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Le Cabinet du Docteur Caligari et l’Expressionnisme allemand

Flora Sarrey Redactrice LeMagduCiné

Chef-d’œuvre incontesté du cinéma muet et instigateur du cinéma expressionniste, Le Cabinet du Docteur Caligari est un classique intemporel. Revenons dans cet article sur son importance et sa descendance.

Contexte

A l’origine, l’expressionnisme apparaît en tant que mouvement pictural, au début du XXème siècle. Il a pour but de s’opposer à la peinture impressionniste, considérée comme trop classique. En effet, les peintres expressionnistes (tels que ceux du mouvement Die Brücke, fondé en 1905 en Allemagne) rejettent l’art comme imitation de la nature. Pour eux, la toile doit laisser place aux émotions intérieures, devenir l’expression de leur intériorité.

Pour ce qui est du cinéma, ce mouvement y arrive plus tard, dans les années 1920. Il apparaît lorsque l’Allemagne traverse une période difficile, venant de subir de plein fouet la défaite de la Première Guerre Mondiale. De ce fait, la situation économique du pays est précaire, et celle des studios allemands également. Ils font face à l’abondance de films hollywoodiens, dotés de riches moyens, avec lesquels les productions nationales ont du mal à rivaliser.

C’est dans ce contexte qu’est produit Le Cabinet du Docteur Caligari, film de 1920 réalisé par Robert Wiene. L’histoire parle de deux amis, Alan et Francis, qui se rendent dans une fête foraine où ils rencontrent le Docteur Caligari qui exhibe Cesare, un somnambule. Il prédit à Alan qu’il ne vivra pas jusqu’à l’aube, et en effet, à l’aube il est retrouvé assassiné dans son lit. On y retrouve les caractéristiques propres aux films expressionnistes : une importance exacerbée de la lumière, une distorsion des formes, les ombres sont peintes, les décors sont étranges… D’ailleurs la mise en scène déborde sur l’expression du film, sur le spectateur. L’importance de la mise en scène est expliquée par Rudolf Kurtz, un théoricien de l’expressionnisme, auteur de Expressionismus und Film :

Au cinéma, le metteur en scène est le point central naturel où les différentes forces se rassemblent et où elles trouvent leur direction et leur position. Il est la caution d’homogénéité.

On dit de Robert Wiene qu’il ne fut qu’un exécutant lors de la réalisation du film, et que tout son crédit revient au scénariste Carl Mayer, ainsi qu’aux décorateurs Herman Warm, Walter Röhrig et Walter Reimann. Pour les décors, ils utilisent des peintures et des surfaces plates, imposant à la caméra du réalisateur une certaine distance et fixité.

Métaphore de l’œuvre

A l’origine, il y aurait eu deux scenarii pour cette réalisation. Dans le premier, on y aurait retrouvé le Docteur Caligari, en tant que médecin psychiatre exerçant une pouvoir despotique, et qui serait également un vil assassin. Dans le deuxième, celui que nous connaissons, Caligari est innocenté, et Francis apparaît comme un fou et est interné dans un hôpital psychiatrique. L’histoire ne serait qu’une délire de son imagination.

Dans la première version du scénario, il y avait un aspect dénonciateur contre toute tyrannie possible, celle-ci incarnée par le Docteur lui-même. Dans son livre De Caligari à Hitler, le critique Siegfried Kracauer propose d’analyser les liens entre le cinéma expressionniste et le contexte social de l’époque pour expliquer l’arrivée du nazisme au pouvoir. Pour lui, ce genre artistique représente les tiraillements dont faisait preuve la société allemande à cette époque. Dans cette œuvre-ci, le débordement entre folie et réalité démontre la paralysie du corps social entier.

Les films d’une nation reflètent sa mentalité de manière plus directe que tout autre moyen d’expression.

Il est important de revoir ce long-métrage avec recul et des yeux neufs pour se rendre compte de son intemporalité, de son génie inestimable. Surtout qu’il a engendré à lui seul une descendance importante, ne serait-ce que dans son mouvement, a par exemple influencé le réalisateur Fritz Lang pour son Docteur Mabuse (sachant qu’il a lui-même influencé l’histoire de Caligari, notamment en tant que récit à tiroirs). C’est aussi l’un des premiers films à twist. Il est aujourd’hui considéré comme un classique et must-see du cinéma muet.

Le Cabinet du Docteur Caligari : Bande Annonce

Le Cabinet du Docteur Caligari : Fiche Technique

Titre original : Das Cabinet des Dr. Caligari

Réalisation : Robert Wiene
Assistant-réalisateur : Rochus Gliese
Scénario : Carl Mayer et Hans Janowitz
Interprétation : Werner Krauss (le docteur), Conrad Veidt (Cesare), Lil Dagover (Jane Olsen), Friedrich Feher (Franz), Hans Heinrich von Twardowski (Alan)
Image : Willy Hameister
Musique : Giuseppe Becce, Alfredo Antonini, Timorhy Brock, Richard Marriott, Peter Schirmann, Rainer Viertlböck
Décors : Hermann Warm, Walter Reimann, Walter Röhrig
Producteurs : Erich Pommer, Rudolf Meinert
Production : Firme Decla-Bioscop
Durée : 71 minutes
Genre : Fantastique
Date de sortie : Allemagne, République de Weimar : 26 février 1920
France : 15 mars 1922

Allemagne – 1920

Sources :

Belambri, Yacine. « La disjonction de l’imaginaire du sacré dans la modernité : De Caligari à Hitler à la lumière de la théorie du bouc émissaire », Sociétés, vol. 110, no. 4, 2010, pp. 65-77.

– Jérôme BINDÉ, Lionel RICHARD, Lotte H. EISNER, EXPRESSIONNISME Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 novembre 2018. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/expressionnisme/