C’est bel et bien le texte qui clôt la Bible qui a popularisé l’idée d’une Apocalypse qui serait la fin spectaculaire du monde et le début d’une nouvelle vie pour une poignée d’élus. Dans son film Prédictions, Alex Proyas reprend toute une imagerie qui relève de l’imaginaire biblique pour mettre en scène la fin de l’humanité.
Il faut attendre le milieu du film pour que Prédictions se révèle être un film apocalyptique.
La première partie de l’œuvre d’Alex Proyas se déploie comme un film catastrophe qui s’enroule autour d’une énigme.
L’énigme, c’est une suite apparemment aléatoire de chiffres, écrite par une écolière des années 50 à qui on avait demandé d’imaginer ce qui allait se passer dans les cinquante prochaines années. Cette liste arrive, 50 ans plus tard, en 2009, entre les mains d’un autre écolier, du nom de Caleb. Son père, professeur au MIT, découvre que ces chiffres constituent une liste de toutes les catastrophes, naturelles ou non, qui ont eu lieu entre 1959 et 2009, avec la date, le nombre de victimes et les coordonnées du lieu de l’incident.
Cette découverte va nous entraîner à la recherche des deux prochaines catastrophes, ce qui donnera lieu à une scène impressionnante de crash aérien.
Tout cela occupe une première moitié sans le moindre temps mort. Mais c’est vers le milieu du film que Prédictions semble changer de direction. John, le père de Caleb, part à la recherche de cette jeune écolière des années 50 pour comprendre par quel moyen elle a pu connaître toutes ces données sur des catastrophes futures. Se dresse alors, progressivement, l’image d’une jeune femme-prophétesse, vivant recluse et sans doute considérée comme folle.
La Révélation
Le récit prend alors un virage qui le mènera vers l’apocalypse.
Le mot “Apocalypse” est pris ici dans les deux sens du terme : le sens qu’il a pris au fil du temps, celui de “fin du monde” (si possible spectaculaire), mais aussi son sens étymologique, une révélation.
Car cette histoire est avant tout une révélation pour un scientifique agnostique qui découvre que le monde est déterminé, que tout est prévu à l’avance. Au début du film, nous voyons John donner un cours où il demande leur avis à ses étudiants : l’univers est-il déterminé (donc est-il une création avec un but, un monde dirigé par une intelligence supérieure) ou n’est-il que le fruit d’un hasard aveugle ? La réponse qui se dévoile au fil de l’action ne laisse aucun doute : la jeune Lucinda reçoit ces informations. Le monde dans lequel se déroule le film est donc bien déterminé, il est dirigé vers une fin.
Le fait que la révélation soit présentée sous forme de chiffres (donc que les chiffres contiennent une information divine) renvoie, quant à lui, directement à l’interprétation kabbalistique de la Bible.
La prophétesse et le soleil
Prédictions se présente alors comme une mise en images d’une apocalypse fortement inspirée par la Bible, plus précisément du premier chapitre du livre d’Ezéchiel, dans l’Ancien Testament de la Bible.
Ezéchiel était un prophète, et au centre de l’action du film se trouve également une prophétesse, Lucinda. Pour elle, ce don de prophétie n’était pas choisi, mais surtout pas du tout une bénédiction : à cause de lui, elle a vécu toute sa vie avec d’horribles visions de fin du monde, et elle a tout le temps été rejetée par les autres, au point de vivre recluse dans une cabane au fond des bois. Lucinda recevait donc des informations qu’elle se devait d’écrire, y compris en les gravant avec ses ongles sur tous les supports possibles.
La scène de la visite de la cabane où vivait Lucinda est sans aucun doute le moment central du film. C’est là que la révélation finale se fait. C’est là aussi que John découvre une gravure représentant… le premier chapitre du livre d’Ezéchiel.
D’où venaient les informations que recevait la prophétesse ? Dans le premier chapitre du livre d’Ezéchiel, le prophète dit qu’il voit une “gerbe de feu”. Dans la gravure, cette “gerbe de feu” est dessinée comme un soleil au centre duquel se trouve l’Être divin. De fait, le soleil est au centre de l’apocalypse dans Prédictions. Présent dès le générique de début, c’est lui qui est responsable des catastrophes qui s’enchaînent dans la première partie du film, faisant ainsi le lien entre les deux moitiés de l’œuvre : les éruptions solaires, détraquant les machines, causent ainsi le crash aérien avant de provoquer la fin de tout ce qui vit sur terre.
Mais plus que cela, il semble que ce soit par le soleil que Lucinda obtient ses informations. Ainsi, dans la scène d’ouverture, Lucinda regarde le soleil, qui paraît lui dicter cette série de chiffres. C’est d’ailleurs aussi en regardant le soleil, mais de manière plus scientifique, que John comprend la solution de l’énigme.
Enfin, toujours dans ce chapitre, Ezéchiel parle de quatre êtres “de forme humaine”, et d’où sortaient “des éclairs”. Là aussi, Alex Proyas a employé cette vision dans son film pour mettre en scène quatre personnages sombres et angoissants qui, au sens étymologique du terme une fois de plus, sont des Anges (c’est-à-dire des Messagers).
Le livre de l’Apocalypse
Si le film se base en partie sur cette vision inaugurale du livre d’Ezéchiel, plusieurs détails semblent aussi empruntés au livre de l’Apocalypse lui-même. Ainsi, la sphère temporelle où était dissimulée la révélation de Lucinda peut faire référence au fameux livre scellé de sept sceaux (Apocalypse, chapitre 5).
Le crash aérien peut renvoyer à l’étoile qui tombe du ciel (Chapitre 8).
En règle générale, les chapitres 7 et 8 de l’Apocalypse insistent sur le feu qui s’écrase sur la Terre (encensoir en feu, montagne embrasée, étoile ardente…).
Enfin, les quatre êtres communiquent avec Caleb en lui donnant des pierres noires là où, dans l’Apocalypse, les élus reçoivent “un caillou blanc” (chapitre 2). Ces cailloux noirs jalonnent alors la route qui mène Caleb et la jeune Abby vers le salut d’une nouvelle terre promise (dans l’Ancien testament, Caleb est le premier à pénétrer dans la Terre Promise (Livre des Nombres)).
Ainsi, c’est bel et bien une représentation biblique de l’Apocalypse qui est mise en image dans le film d’Alex Proyas. Cette représentation donne son unité à un film souvent sous-estimé, qui offre pourtant un grand spectacle et un sentiment d’angoisse qui caractérise cette fin de l’humanité.