Sages-femmes de Léa Fehner suit le quotidien de deux sages-femmes nouvellement arrivées et surtout du service dans lequel elles évoluent. Un quotidien très rythmé, où le temps est l’ennemi, où le sens est à retrouver. Une fiction quasi documentaire portée par de jeunes comédiens du Conservatoire national supérieur de Paris. Le film est diffusé sur Arte.tv jusqu’au 10 août 2023.
Qu’une seule tienne et les autres suivront ?
Sages-femmes est le troisième film de Léa Fehner, réalisatrice notamment des Ogres en 2014. Déjà dans ce deuxième film, elle avait mis en avant le groupe et l’individu en son sein, sa solitude. Sages-femmes est le récit d’un collectif embarqué dans la même galère : faire tenir debout l’hôpital public. Mais c’est aussi l’histoire intime de Louise, Sofia, Valentin, Reda (…). Louise et Sofia sont les héroïnes annoncées de Sages-femmes. Deux nouvelles recrues qui débarquent dans le service. Louise est d’abord perdue, maladroite quand Sofia en veut, surtout pas des préparatifs, mais de la salle de travail. Par des scènes très simples, précises, quasi documentaires, la réalisatrice présente les personnages, l’ambiance. On est littéralement immergés au sein de la maternité. Ce souci de réalisme se prolonge jusque dans les scènes de naissance, cœur du film et du métier, qui sont de vrais accouchements. Des accouchements vécus dont les parents (qui ont accepté d’être filmés) sont ensuite devenus des acteurs du film, acceptant de jouer d’autres scènes, nécessaires à l’avancée du scénario.
Ce que Sages-femmes raconte le mieux, c’est l’état de l’hôpital. Les jeunes qu’on forme à peine, qui doivent être opérationnels tout de suite. On le voit avec Valentin, ce personnage de grand naïf un peu perdu, qui n’ose pas déranger et qui se trouve pris dans le tourbillon. Sofia et Louise de leur côté bataillent pour tenir, même quand la mort débarque dans leur quotidien de vies à naître, elles n’ont pas le temps de s’en remettre. Leur fragilité a beau être exacerbée, elles doivent la mettre de côté. Le discours militant est discret mais fort. Léa Fehner, au-delà d’une expérience personnelle d’un accouchement difficile, a voulu aussi raconter un hôpital dans lequel les soignants n’ont plus le temps d’être attentifs. Dans le film, cela se traduit par ce couple venu accoucher d’un enfant mort-né et qui attendra des heures avant d’être réellement écouté, entendu, accompagné. Un des médecins dit même « il va pas mourir une deuxième fois », quand une collègue se plaint de ne pouvoir aller auprès des parents.
Lien
La déshumanisation semble en marche avec des tableaux remplis des gardes à faire, des patients qui ne sont que des numéros, des sigles en témoignent. Et puis il y a ces mères en détresse, toute cette angoisse qui monte, comme la joie, des sentiments qui ne peuvent s’exprimer avec les soignants tant le temps leur manque. Pour montrer ce délitement de l’hôpital, Léa Fehner a choisi un service bien particulier : « Les sages-femmes soutiennent les familles pendant la période intime et bouleversante de l’accouchement. A travers les moments les plus beaux et les plus douloureux. À l’époque, les sages-femmes alarmaient déjà sur leurs conditions de travail. Elles se sont décrites comme involontairement « maltraitantes » (notamment avec la #jesuismaltraitante) par manque de temps et de moyens*. » Là encore, la réalisatrice fait suite à une immersion et une histoire intime, comme pour son précédent film où jouait sa famille.
Ensemble
De ces instants douloureux, souvent tendus, Léa Fehner retient des visages, des corps, des moments forts. Elle filme autant la joie que les doutes et raconte ce déchirement entre la volonté de bien faire son travail, le désir de combat et la réalité de sa vie personnelle également. Une œuvre portée par de jeunes comédiens du Conservatoire national supérieur de Paris (comme A l’Abordage, autre fiction Arte), tous superbes, fougueux, vivants et par de vrais professionnels. Ce double regard (réalité/fiction) a été amorcé dès l’écriture (Léa Fehner est également scénariste): « Nous avons mis en place des ateliers d’écriture sur le plateau avec les sages-femmes, et les comédiens improvisaient des scènes à partir de leurs histoires. (…). Il y avait beaucoup de joie, bien sûr, mais aussi des souvenirs douloureux, de la colère, et parfois même du désespoir. La situation actuelle est tellement difficile. Mais quand même, ce qui galvanisait, c’était le sens de la réciprocité : quand les sages-femmes découvraient les scènes improvisées par les comédiens, elles riaient, elles s’énervaient, mais surtout, ça les faisait réfléchir. Aussi déstabilisant que cela puisse paraître, elles m’ont souvent dit que cette expérience leur avait permis de remettre en question leur pratique, ce qu’elles ne font généralement jamais, car elles n’ont tout simplement pas le temps*! » Sages-femmes est autant un film documentaire qu’une œuvre de fiction portée par des héroïnes romanesques, dont la vie s’écrivant sous nos yeux est bousculée, bouleversée, mais qui tentent de tenir bon. Des héroïnes qui veulent défendre des valeurs fortes, et une expérience unique qu’est celle de l’accouchement,. Le film est une expérience de mères, une expérience peu abordée au cinéma, sinon avec des histoires caricaturales : « La maternité porte des valeurs qui devraient être au cœur de toute notre société, mais qui sont marginalisées, rendues invisibles ou reléguées au rang de « trucs de vieilles femmes » : attention aux plus faibles, solidarité, respect de la dignité d’autrui, lien , partage*. »
Le travail de Léa Fehner consiste à parler du groupe, du collectif et sa mise en scène va dans se sens. On vibre avec Sages-femmes au rythme des naissances, mais aussi en empathie totale avec ceux qui, plus que de tenir, tentent de valoriser un métier essentiel, puissant, auquel la réalisatrice rend un témoignage vibrant tout en faisant du cinéma.
* Toutes les citations sont tirées du dossier de presse du film.
Bande annonce : Sages-femmes
Fiche technique : Sages-femmes
Synopsis : Après 5 ans de formation au métier de sage-femme, Louise et Sofia se lancent dans le monde du travail. “Le plus beau métier du monde”, l’expression les fait marrer depuis les premiers stages. Les toutes jeunes femmes plongent dans la féroce réalité d’une maternité et de leur métier. Des vocations s’abîment, d’autres se renforcent. Leur amitié saura-t-elle résister à pareille tempête ?
Réalisation : Léa Fehner
Scénario : Léa Fehner, Catherine Paillé
Interprètes : Khadija Kouyaté, Héloïse Janjaud, Myriem Akheddiou, Quentin Vernede, Tarik Kariouh, Lucie Mancipoz
Production : Geko Films, Arte France
Diffusé du 14/04 au 10/08/2023 sur Arte.Tv
Genre : Drame
Durée : 1h30