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Reality : sweet home america

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Qu’y a-t-il de plus désarmant que de ne plus se sentir chez soi ? Reality ne se contente pas simplement de répondre à cette interrogation, mais transcende les faits d’une perquisition qui tourne en rond. Sur l’appui d’un authentique script, ce huis clos installe délicatement un sentiment d’insécurité et d’angoisse chez une femme qui n’a peut-être plus grand-chose à perdre.

Synopsis : Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile. Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux. Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?

« Tant que tu n’as pas parlé, la parole est en ton pouvoir, mais échappée de ta bouche, elle te tient en son pouvoir. » Les mots du poète persan, Abu Shakour Balkhi, traversent le premier long-métrage de Tina Satter. Immense succès au Off Broadway, la pièce Is this a room : Reality Winner Verbatim Transcription a fini par trouver de l’intérêt pour le grand écran. Suivant scrupuleusement la retranscription d’un interrogatoire mené par le FBI, en juin 2017, Satter appréhende la joute oratoire qui s’est tenue entre Reality Winner et ses geôliers d’un après-midi, à qui il s’agit de donner un visage à chaque voix en premier lieu. À partir de là, l’imaginaire est comblé par des faits et une réalité que la protagoniste cherche à faire valoir malgré elle.

Une zone de confiance

Avec un nom aussi insolite que paradoxal, Reality Winner doit répondre de ses actes. Le débarquement impromptu du FBI à la porte de son domicile n’est sans doute pas un hasard, mais l’ignorance et la naïveté de la jeune femme de 25 ans l’ont conduit dans une impasse dans laquelle il sera difficile de ressortir. A peine garée devant sa modeste location, deux agents l’interpellent, laissant ainsi ses courses se réchauffer dans son coffre. L’atmosphère n’est soudainement plus la même en quelques minutes et ce premier contact avec ces envoyés du gouvernement ne présage rien de bon quant à la perquisition qui va suivre. Le sentiment de ne plus être chez soi grimpe avec frénésie, au fur et à mesure que la banalité des échanges, comme les divers hobbies de Reality, entre ses séances de CrossFit, ses projets de carrière et les anecdotes sur ses animaux de compagnie. Une discussion de bureau, en somme.

Le sujet n’est pourtant pas dans le cœur des mots, mais bien dans l’étude psychologique des personnages et leur intérêt dans un espace restreint. Tina Satter l’a suffisamment expérimenté au théâtre pour comprendre les points clés d’une telle mise en scène, jouant davantage sur le mouvement des corps et des jeux physiques qui entrent en collision. Son script constitue ainsi son défi et sa contrainte, afin de peu à peu dévoiler les défaillances administratives de la NSA, service de renseignement américain dont Reality fut l’employer quelques mois auparavant. L’étau se resserre ainsi, de même que la caméra isole souvent la femme dans un coin du cadre, avec l’imposante masse d’un agent pour la déstabiliser. Du jardin à une grande chambre vide, nous comprenons rapidement le malaise que subit Reality face à ces enquêteurs, qui savent ce qu’ils sont venus chercher et qui savent ce qu’elle a intérêt à cacher.

Dos au mur

L’approche est académique, certes, mais assez ludique pour que divers glitch viennent fréquemment censurer le probable motif de cette visite. Satter cite souvent Michael Haneke, dont la mise en scène est impitoyable concernant la souffrance suggérée des personnages, la plupart du temps en hors-champ et lorsqu’il s’agit d’étirer la longueur des séquences. Le spectateur est ainsi piégé dans une boucle, à la manière d’un Funny Games ou d’Amour, également des huis clos. L’interrogatoire de la seconde partie laisse ainsi tout le loisir à l’interprète de Reality de déployer son panel émotionnel. Sydney Sweeney, qui s’est rapidement fait repérer sur HBO dans les séries Euphoria et The White Lotus, triomphe de justesse. Avec ce nouveau tremplin qui l’a emmené aux côtés de Satter à la Berlinale 2023, on apprend également que l’actrice américaine a récemment signé pour le rôle d’une Spider-Woman pour Sony.

Mais pour en revenir à cette sombre affaire, qui titille encore les États-Unis aujourd’hui, l’adaptation de Tina Satter vient compléter le documentaire The United States vs. Reality Winner, réalisé par Sonia Kennebeck, d’un point de vue sensoriel. La distance avec les sujets diffère et l’information n’est pas digérée dans la spontanéité de cette pseudo-fiction. Les échanges spontanés, les bégaiements, l’angoisse et la vérité se succèdent avec une tension mécanique, souvent usée par les courts flashbacks dont on aurait pu se passer. Ce sont dans ces moments-là que les codes du huis clos sont brisés pour se rapprocher d’un format documentaire, où la reconstitution alourdit un propos pourtant loin d’être niais.

Néanmoins, ce reproche n’éclipse pas entièreté de cette perquisition, qui dévoile les stigmates d’une nation investissant son propre territoire, jusqu’à étouffer chaque esprit révolutionnaire, qu’il soit conscient ou non de la portée de ses actes. Le choix et la conscience ne font désormais plus qu’un et le public est invité à mesurer ses droits fondamentaux. De même, il s’agit de montrer la culture sous-jacente d’une misogynie passive, où les barrières physiques s’accumulent autour de Reality, une lanceuse d’alerte qui ne gagne pas grand-chose dans l’histoire, si ce n’est à devenir un bouc émissaire à envoyer au bûcher. Mais la différence qu’elle a avec Edward Snowden, c’est bien entendu le sens du sacrifice, ce qui la rend encore plus complexe et qui renvoie une image absurde du pouvoir d’État. Ce film contient quelque chose de virale dans son dispositif, à la fois stimulant et inquiétant. À vous de le découvrir !

Bande-annonce : Reality

Fiche technique : Reality

Réalisation : Tina Satter
Scénario : Tina Satter, James Paul Dallas
Photographie : Paul Yee
Son : Ryan Billia
Décors : Tommy Love
Costumes : Enver Chakartash
Maquillage : Sarah Graalman
Montage : Jennifer Vecchiarello, Ron Dulin
Musique : Nathan Micay
Production : Seaview
Pays de production : États-Unis
Distribution France : Metropolitan FilmExport
Durée : 1h22
Genre : Drame, Biopic
Date de sortie : 16 août 2023

Reality : sweet home america
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