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Òlòturé : les bas-fonds de Lagos

Cette production nigériane traitant de la prostitution et du trafic d’êtres humains dans la plus grande métropole du pays, proposée aujourd’hui dans le catalogue de Netflix, avait de quoi piquer notre curiosité. Hélas, là où l’on espérait une peinture crue d’une réalité dramatique, le film adopte au contraire une approche fictionnelle toute en lourdeurs et invraisemblances. Ajoutez-y une dramaturgie appuyée et la qualité variable de la prestation des comédiens, et vous obtenez une belle occasion manquée.

Dans les rues colorées et en effervescence de Lagos, la plus grande ville du Nigeria, un groupe de prostituées aguiche ses clients, qu’il s’agisse « d’habitués » que l’on retrouve dans les bars du quartier ou d’hommes de passage qui s’arrêtent en voiture le long de la route. Parmi les jeunes femmes se trouve Ehi (Sharon Ooja), qui a récemment rejoint cette bande « libre » (les filles ne travaillent pas pour un maquereau) et s’est liée d’amitié avec Linda (Omowunmi Dada). Seulement voilà, Ehi s’appelle en réalité Òlòturé (le générique de fin nous apprend que ce mot signifie « endurance » en yoruba), elle est journaliste et enquête sur le trafic d’êtres humains. A la double vie de notre héroïne correspond presque une double personnalité : Ehi au corps sculptural à peine recouvert et à la perruque verte, qui s’exprime dans un mélange détonant de yoruba et d’anglais, se transforme, lorsqu’elle retrouve brièvement sa « vraie » vie, en une jeune fille sans maquillage ni perruque, investie dans un indispensable travail de dénonciation, qui cherche du réconfort auprès de sa mère et s’exprime dans un anglais tout ce qu’il y a de plus académique. Cette mission dangereuse va lui coûter très cher.

Il y avait dans Òlòturé, un film qui suscite notre curiosité car rares sont les productions nigérianes à parvenir jusqu’à chez nous, un vrai potentiel. Si Kenneth Gyang et ses deux scénaristes, Craig Freimond et Yinka Ogun, l’avaient abordé sous un angle essentiellement social, nul doute que nous tiendrions là un film d’un autre calibre. Quelques rares éléments nourrissent cet espoir, surtout dans le premier tiers : tournage en numérique, caméra libre, bruits et odeurs, jeu naturaliste, interactions entre certains personnages… Tout cela laisse entrevoir un cinéma-vérité nous emmenant dans les bas-fonds de la jungle urbaine nigériane. Hélas, Òlòturé prend une direction résolument fictionnelle dont il est incapable d’assumer les ambitions. Les fêlures qui apparaissent rapidement se creusent inexorablement au fil de la narration, pour laisser place à un gouffre béant, presque aberrant, dans la dernière partie du film. Le scénario, d’abord, comprend un contresens central qui plombe toute l’entreprise à lui seul. Ainsi, on veut nous vendre l’idée que notre journaliste infiltrée dans le milieu de la prostitution parvient à mener son enquête sans jamais coucher avec un client, et sans susciter la méfiance de ses collègues ! Il s’agit d’ailleurs du sujet de la première séquence du film, qui voit Ehi s’enfuir d’une chambre de passe par la fenêtre : après quelques remontrances, tout le monde oublie l’incident. L’aberration narrative culmine lors d’une séquence de partouze pauvrement mise en scène, lors de laquelle l’héroïne se fait (évidemment) violer par l’hôte politicien, dans une scène même pas choquante tellement elle est visuellement laide… Ajoutons qu’aux failles narratives s’ajoute une dramaturgie lourdement soulignée par une musique omniprésente, qui nous emmène hélas bien loin de l’âpreté que réclamait le sujet.

Un peu honteux, le spectateur prend aussi conscience que son observation initiale repose en fait sur un malentendu. L’aspect brut des images trahit simplement un amateurisme dans la photographie, la liberté de mouvement de la caméra devient une absence de mise en scène, l’angle presque documentaire est totalement évacué au profit d’une fiction aux rebondissements invraisemblables, les quelques traits nuancés sont gommés par des situations de plus en plus grotesques, et la qualité de jeu des comédiens est pour le moins contrasté (même Sharon Ooja n’y échappe pas, alternant bonnes et mauvaises scènes). Tout cela culmine, comme mentionné plus haut, dans le n’importe quoi généralisé que constitue le dernier tiers du film. Ehi/Òlòturé, Linda et d’autres jeunes prostituées souhaitant rejoindre l’Europe, suivent l’impitoyable mère maquerelle Alero (Omoni Oboli) dans un lieu de transit avant le franchissement de la frontière béninoise. Sur place, une poignée de truands menés par un psychopathe au surjeu délirant les terrorise et teste leurs « aptitudes » à satisfaire leurs futurs clients, au cours de scènes salaces qui pourraient susciter le malaise si le mal n’avait pas déjà été fait depuis bien longtemps à ce stade du film… Quant à l’image finale, il est peu de dire qu’elle laissera plus d’un spectateur sur sa faim.

On espérait naïvement que Òlòturé puisse être une réussite, un vrai bon film africain sur une sordide réalité africaine, exposée d’un point de vue africain. Le sujet méritait clairement un traitement plus sérieux, plus digne, plus maîtrisé que ceci. Le grand film que Òlòturé contenait en germe reste donc à faire.

Òlòturé – Bande-annonce

Òlòturé – Fiche technique

Réalisateur : Kenneth Gyang
Scénario : Craig Freimond, Yinka Ogun
Interprétation : Sharon Ooja (Ehi/Òlòturé), Omowunmi Dada (Linda), Blossom Chukwujekwu (Emeka), Omoni Oboli (Alero)
Photographie : Idowu Adedapo, Malcolm McLean
Montage : Victoria Akujobi
Musique : Kulanen Ikyo
Producteurs : Heidi Uys, Temidayo Abudu, James Amuta
Maisons de production : EbonyLife Films
Distribution : Netflix
Durée : 106 min.
Genre : Drame/Crime
Date de sortie :  2 octobre 2020 (Netflix)
Nigeria – 2019

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