les-secrets-de-mon-pere-film-vera-belmont-avis

Les rescapés et leurs descendants : Les Secrets de mon père

Dernière mise à jour:

Réaliser un film sur la Shoah adapté aux adultes comme aux enfants. C’est le pari audacieux et réussi qu’a pris Véra Belmont avec Les Secrets de mon père. Un film touchant qui questionne les rapports entre les survivants de l’Holocauste et les Juifs nés après la guerre.

Synopsis : Dans la Belgique des années 60, Michel et son frère Charly vivent une enfance heureuse dans leur famille juive. Mais une ombre plane sur le tableau. Leur père, Henri Kichka, est un homme mystérieux qui refuse de revenir sur son passé. Un silence qui intrigue de plus en plus ses enfants. Pourquoi leur père ne parle-t-il pas de la guerre ? Que signifient les chiffres tatoués sur son bras ? Qu’est-ce qu’ « Auschwitz », ce lieu dont ils souvent entendu parler ?

 Le poids du souvenir

Un sujet difficile et sensible pour un premier film d’animation. Véra Belmont a choisi de parler des survivants de la Shoah dans un film adapté aux adultes comme aux enfants. Un pari audacieux pour la réalisatrice !

L’histoire est inspirée de faits réels relatés par Michel Kichka lui-même. Dans sa bande dessinée Deuxième génération (Dargaud, 2012), il revient sur ses relations avec son père Henri Kichka. Témoin médiatique de l’Holocauste, le rescapé des camps raconte sans problème son histoire à la télévision, devant des politiques ou des étudiants mais reste muet face à ses enfants.

Ce sont ces échanges compliqués voire impossibles entre la seconde génération de Juifs européens et les rescapés de la Shoah que racontent Michel Kichka dans sa BD et Véra Belmont dans son film.

« Montrer l’immontrable »

C’est notamment le recours au dessin qui permet de relever le challenge. Un choix déjà fait par Michel Kichka. En 2012, il est passé par la bande dessinée pour raconter son « histoire de traumatisme et de résilience ». Un moyen selon lui de toucher un public plus large. Le dessin apporte par ailleurs une certaine poésie même dans les histoires les plus tragiques.

Un raisonnement suivi par Véra Belmont. La réalisatrice explique s’être appuyée sur le studio d’animation « Je suis bien content » (auquel on doit Persepolis de Marjane Satrapi) pour « montrer l’immontrable ». Le résultat est au rendez-vous. Sans pour autant effacer les drames et les tragédies au cœur de l’intrigue, Les paysages belges et israéliens ou encore l’apparence des personnages participent d’une forme de légèreté.

En cela, Véra Belmont réussit le pari d’un film adapté aux petits et aux grands. Sans perdre de sa nécessaire gravité et de son indispensable vérité historique, le film est l’occasion pour les plus jeunes de découvrir une part sombre de notre histoire oubliée par certains. En 2018 d’après l’Ifop, 10% des Français ignoraient l’existence de la Shoah. Un chiffre affolant qui s’élève à près de 20% chez les 18-34 ans. La sortie récente de films très réussis comme Les Secrets de mon père ou Une jeune fille qui va bien (Sandrine Kiberlain, 2021) permettra peut-être de sensibiliser des publics plus jeunes.

Une forme de légèreté dans le pathos

 Il aurait été indécent de cacher ou de diminuer la violence et l’inhumanité de la Shoah. Les Secrets de mon père n’épargne rien au spectateur de ce que l’Holocauste a eu de dramatique pour les Juifs, rescapés comme descendants.

Pour autant, Véra Belmont trouve un équilibre entre le poids de l’histoire tragique sur les enfants et les ressorts comiques de leur vie quotidienne. S’ils se posent des questions, s’inquiètent et sont tristes, Michel et Charly jouent, font des bêtises et rient aussi beaucoup. En se plaçant du point de vue des enfants, la réalisatrice facilite l’identification des jeunes spectateurs. Elle offre en outre aux plus grands des parenthèses de légèreté au milieu des drames.

Parfois, le tragique et le comique se mélangent dans des séquences qui sont parmi les plus touchantes du film. Comme lorsque Charly, crâneur, déclare être sûr que les chiffres tatoués sur les bras des Juifs du quartier sont des numéros de téléphone. La dame de la confiserie lui tend alors un combiné pour appeler le numéro. Une voix robotique résonne déclarant qu’il n’y a plus d’abonné.

Il faut également saluer le jeu des acteurs doublant les parents de Michel et Charly. Michèle Bernier et Jacques Gamblin sont très touchants dans les rôles de Lucia et Henri Kichka. La première incarne bien la mère tantôt protectrice prête à ruer dans les brancards, tantôt vulnérable dépassée par les questions de ses enfants. Jacques Gamblin quant à lui rentre dans la peau d’un personnage tout en paradoxes. Muré dans son silence et sa froideur de façade mais qui sait aussi être tendre avec ses enfants. Le film rappelle par exemple que c’est lui qui a donné à Michel la passion du dessin.

Les personnages des parents permettent de ne jamais perdre de vue qu’on est face à une famille qui s’aime malgré une histoire dramatique et des traumatismes qui dépassent ses membres.

Un film captivant

Les Secrets de mon père est un film dense. En 1h et 14 minutes, Véra Belmont raconte l’histoire des Kichka des jeunes années des deux enfants jusqu’aux retrouvailles entre Michel et son père déjà très âgé. Le décalage entre l’ampleur de l’intrigue et le format du long-métrage constitue peut-être sa seule faiblesse. Il aurait presque fallu deux films pour couvrir la vie des Kichka en allant au bout des choses.

Mais si le temps file à l’écran, on n’est pas perdu dans l’intrigue qui s’enchaîne avec fluidité. Les transitions, les musiques et les ellipses rondement menées permettent à Véra Belmont de gagner son pari. En une séance de cinéma, on en apprend plus sur la Shoah et sur les relations entre les rescapés et leurs descendants.

Bande-annonce – Les Secrets de mon père

Fiche technique – Les Secrets de mon père

Réalisation : Véra Belmont

Scénario : Véra Belmont et Valérie Zenatti
Doublage : Michèle Bernier (Lucia Kichka), Arthur Dupont (Michel Kichka (adulte)), Jacques Gamblin (Henri Kichka), Esteban Oertli (Michel Kichka (enfant)), Gabin Guenoun (Charly Kichka)
Musique : Elliott Covrigaru
Coproducteurs : John Engel, Marie Queffeulou, Alain Pancrazi, Jean-Baptiste Frey, Laurent Bacri, Perrine Capron, Philippe Alessandri, Simon Crowe, Matthew Joynes
Distributeur : Le Pacte
Récompenses : Prix des collégiens et des lycéens Cannes Ecrans Juniors
Durée : 1h14
Genre : Film d’animation
Date de sortie : 21 septembre 2022
France, Belgique – 2021

Auteur : Maxime D

Note des lecteurs1 Note
4